Abeer Essawy, pionnière du développement du sport en Égypte

Multiple championne d’Afrique de taekwondo dans les années 2000, Abeer Essawy a représenté l’Égypte aux Jeux Olympiques d’Athènes en 2004. Aujourd’hui membre du Comité National Olympique de son pays, elle a pour objectif de développer la pratique du sport sur le continent africain, en particulier chez les femmes. PAR NICOLAS DIDIERJEAN. Extrait du WOMEN SPORTS AFRICA N.7.

De par son parcours exceptionnel qui l’a mené des terrains de taekwondo au siège du Comité National Olympique Égyptien, Abeer Essawy est une figure inspirante pour les jeunes filles qui rêvent d’embrasser une carrière sportive. Une femme entreprenante, altruiste, à l’attitude positive mais exigeante avec elle-même. Âgée de 36 ans, Abeer est une femme moderne amenée à changer le monde de de- main. À ses débuts, l’Égyptienne ne pensait pas devenir experte de l’art martial coréen, qu’elle voyait comme un loisir, jusqu’à ce que son premier titre de championne d’Afrique en 2003, à l’âge de 16 ans, ne change son des- tin. Encouragée par son père et son entraîneur, la jeune fille docile se transforme alors en redoutable compétitrice. En 2004, après un deuxième titre sur la scène africaine, elle dispute les Jeux Olympiques d’Athènes à seulement 17 ans. À défaut d’avoir obtenu une médaille, la jeune taekwondoïste est fière d’y avoir participé car, dit-elle, cela lui a donné « beaucoup de confiance » pour la suite. Une assurance qui lui permettra de régner sans partage sur l’Afrique durant trois années consécutives en 2005, 2006, et 2007. Mais une carrière est faite de hauts et de bas et l’athlète égyptienne va l’apprendre à ses dépens. Une vilaine blessure brisera son rêve de briller sur la scène olympique de Pékin en 2008, ce qui précipitera la fin prématurée d’une carrière pourtant si brillamment engagée.

Toutefois, la jeune femme a vite l’occasion d’endosser un rôle de leader qui va bien au-delà du sport. Désireuse de transmettre sa propre expérience à la nouvelle géné- ration, Abeer crée en 2012 la plateforme sportive numérique Egypt Sports Network, afin de célébrer les athlètes locaux. Son objectif est de créer une communauté sportive forte et de susciter l’intérêt de la population pour les sports olympiques. Puis, elle lance une plateforme narrative in- titulée Sportunity, dont le but est d’inspirer la jeunesse à travers le récit du parcours de sportifs égyptiens.

« ELLE A BON ESPOIR QUE TOUTES SES ACTIONS INCITERONT LA JEUNESSE AFRICAINE À PRATIQUER LE SPORT. »

Par ailleurs, Abeer mène un combat difficile pour l’émancipation des jeunes filles africaines. Le souvenir le plus marquant de sa carrière n’est pas sur un tatami mais sur le terrain sociétal. Lorsqu’un père de famille lui avoue par message avoir changé d’avis sur le fait que ses filles et sa femme devaient faire du sport après l’avoir vue à la télévision, l’Égyptienne est submergée par l’émotion, consciente de l’impact exceptionnel qu’elle peut avoir pour changer les mentalités dans son pays. Non seulement incarne-t-elle l’exemple à suivre pour les jeunes filles qui aspirent à s’émanciper, mais elle convainc aussi les familles que le sport est un merveilleux moyen d’expression pour les jeunes femmes, et que l’activité sportive n’affectera en rien leur féminité.

Membre du comité exécutif de la WOA (World Olympians Association, ndlr : l’association mondiale des olympiens) depuis 2020, Abeer représente régulièrement son pays lors d’évènements sportifs mondiaux. Elle intervient aussi dans les écoles pour parler de son expérience de championne, ce qui lui permet d’inciter les jeunes femmes à pratiquer le sport, et dans le même temps, d’effectuer une introspection sur son propre parcours d’athlète.

De nature curieuse, cette amoureuse du Népal et du Mont Blanc est pleine d’optimisme pour l’avenir. Elle a bon espoir que toutes ses actions inciteront la jeunesse africaine à pratiquer le sport.


Entretien avec Abeer Essawy : « Les femmes doivent être plus représentées dans les instances dirigeantes »

Women Sports Africa : Championne de taekwondo, puis entraîneure et maintenant membre du Comité National Olympique égyptien, comment expliquer votre parcours ?

Abeer Essawy : J’ai entraîné des athlètes en taekwondo pendant 5 ans mais je n’étais pas seulement coach. Je devais résoudre les problèmes des athlètes à l’école, m’occuper de leurs relations familiales, prodiguer des conseils aux parents sur la façon de gérer leurs personnalités. C’était une décision difficile à prendre de changer de fonction mais je me suis dit qu’en tant que coach, je m’occupais d’une trentaine de filles, alors que maintenant, je peux aider un plus grand nombre d’athlètes, dont les filles du taekwondo, donc c’était le bon choix pour moi.

WSA : Comment êtes-vous arrivée au sein du Comité National Olympique Égyptien et quel rôle y jouez-vous ?

J’ai prononcé un discours devant des membres du Comité, le ministre de la Jeunesse et des Sports, et plus de 1 000 étudiants. J’y ai parlé de mes rêves en tant qu’athlète, et du rôle joué par mon organisation Egypt Sports Network. Deux semaines après, j’ai été désignée au Comité National Olympique Égyptien. Je suis membre de la Commission des athlètes au sein du Comité. Mon rôle est de résoudre les problèmes des athlètes, de les écouter et de rendre leurs conditions de travail plus faciles.

WSA : Vous êtes très engagée au niveau du féminisme. Quel est votre ambition pour développer la visibilité des femmes dans le sport ?

J’aimerais faire en sorte que les athlètes femmes soient plus re- présentées dans les instances dirigeantes. Au niveau sportif, sur les quatre dernières Olympiades, l’Égypte a obtenu 14 médailles, 7 pour les garçons et 7 pour les filles alors qu’il y avait 20 % de filles en moins par rapport aux garçons. Imaginez si on mettait les mêmes moyens au niveau institutionnel !

On ne voit pas assez de femmes dans les institutions, en tant que coaches, au sein des fédérations. J’aimerais que les athlètes femmes qui prennent leur retraite restent dans le monde du sport pour occuper des postes importants dans les instances dirigeantes. Si les femmes ont plus d’opportunités, elles vont apporter énormément de choses positives dans le monde du sport !

WSA : Quel est votre plus grand objectif concernant le sport en Égypte, et plus généralement en Afrique ?

L’objectif prioritaire est d’inciter la jeunesse africaine à pratiquer le sport. J’ai vu l’impact positif que le sport avait pour changer des vies. Les jeunes d’aujourd’hui vivent dans un monde plus compliqué, plus stressant, plus concurrentiel que celui dans lequel j’ai grandi. Ils sont sollicités de toutes parts, en particulier par le monde digital. Selon moi, ils sont en danger. Je souhaiterais que tous soient représentés et se reconnaissent dans ces athlètes qui disputent les Jeux Olympiques.

On a besoin de figures inspirantes pour inciter les jeunes à continuer la pratique sportive. Mohamed Salah (footballeur du Liverpool FC et de l’équipe d’Égypte, ndlr) et Sadio Mane (footballeur du Bayern Munich et de l’équipe du Sénégal, ndlr) sont arrivés à un moment important. Toutefois, j’aimerais que les jeunes s’intéressent à d’autres disciplines que le foot- ball. Nous avons tellement de belles histoires de sport à raconter.

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