Ndèye Binta Diongue : « Les sacrifices demandés pour atteindre mes objectifs olympiques sont nombreux »

Ndèye Binta Diongue, escrimeuse sénégalaise, est une passionnée dans l’âme. Depuis son plus jeune âge, elle manie l’épée d’une main de maître. À 35 ans, et après avoir participé aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, l’éducatrice sportive et Maître d’Armes a encore des rêves plein la tête, dont Paris 2024. Et pour cela, elle est prête à de nombreux sacrifices. Entretien. PROPOS RECUEILLIS PAR VANESSA MAUREL. Extrait du Women Sports Africa N°8.

WOMEN SPORTS : COMMENT AVEZ- VOUS DÉCOUVERT L’ESCRIME ?

NDÈYE BINTA DIONGUE : Un collègue de mon père, Maître Sidy Gallo Diop, qui travaille dans l’administration pénitentiaire, faisait partie de la première promotion de Maîtres d’armes au Sénégal. C’est lui qui m’a initiée à l’escrime. C’était pour moi une découverte et un passe-temps les mercredis et samedis soirs, quand il n’y avait pas d’école. Nous étions un bon groupe de jeunes, tous voisins, et il y avait une très bonne ambiance, surtout lors des déplacements pour les compétitions des Championnats du Sénégal. C’est là-bas que j’ai rencontré les premiers escrimeurs sénégalais qui m’ont fait aimer encore plus ce sport au fil du temps. J’ai aimé et ma passion a pris le dessus, ce qui m’a fait rester. Cela fait maintenant plus de 21 ans. J’ai eu la chance de pouvoir continuer, ce qui n’est pas évident, et je remercie mon entêtement et ma persévérance, car les autres ont tous décroché. Je suis la dernière de toute une génération d’escrimeurs à avoir continué et atteint le haut niveau en tant qu’athlète. J’en suis fière aujourd’hui car j’ai tenu bon, malgré le fait que l’escrime ne soit toujours pas développée ni connue au Sénégal, et que les moyens d’accompagnement ne suivent pas, car l’escrime coûte très cher et ce n’est pas évident voire impossible de réussir sans l’aide nécessaire.

QUAND EST-CE QUE VOTRE PRATIQUE A PRIS UN TOURNANT ET QUE VOUS AVEZENVISAGÉ DE DEVENIR ATHLÈTE DE HAUT NIVEAU ?

J’avais décidé d’arrêter et de mettre fin à ma carrière en 2012, après les qualifications pour les Jeux Olympiques de Londres où j’avais perdu en quart de finale. À force d’entendre les gens me dire que j’étais vieille, que je ne gagnais pas, que je ne progressais pas, ou qu’il fallait faire de la place aux jeunes, j’ai fini par perdre confiance en moi. J’ai cru ce que les autres disaient, que j’étais nulle et que je n’avais pas ma place dans l’escrime. J’avais plein d’ambitions et une vision, mais entre découragement et désillusion, personne ne m’encourageait à persévérer ou ne cherchait de solutions pour atteindre le haut niveau. Personne ne croyait en moi et ne voulait investir dans mon projet.

J’ai fini par arrêter et on m’a proposé d’intégrer l’école des Maîtres d’armes pour me reconvertir à 26 ans, pas par choix mais simplement parce que je devais faire quelque chose, car j’avais négligé et arrêté mes études. J’ai suivi cette voie, mais j’ai beaucoup appris à l’école des Maîtres d’armes et j’en suis sortie avec mon diplôme en main. J’ai commencé à enseigner dans les écoles et les clubs à Dakar. Mais il y avait un «mais», et c’est là que j’ai eu un déclic. Pendant ma formation, j’ai repris goût à l’escrime, car pendant cette année, mon rêve renaissait peu à peu et j’ai décidé de reprendre la compétition et de me préparer pour les Jeux de Rio. Mais pour faire cela, il était impossible de rester au Sénégal, car il n’y avait pas les ressources nécessaires pour réaliser et atteindre le haut niveau. Je n’avais toujours pas reçu l’aide nécessaire pour mes projets. Je me suis dit que, lorsqu’on veut quelque chose et qu’on a un rêve, il faut se donner les moyens de les réaliser. Je ne pouvais pas abandonner sans essayer une dernière fois. J’ai utilisé mes propres moyens financiers, avec l’aide de ma famille, et je suis partie à l’aventure.

Tout a vraiment changé lorsque le Maître Daniel Levavasseur a cru en moi après 3 mois de stage chez lui au sein de sa team. Il m’avait demandé de reve- nir quand je le voulais. J’ai eu la chance qu’il accepte de m’entraîner à partir de fin 2014, pour réaliser mon rêve de devenir olympienne. J’étais venue avec mon projet olympique pour Rio 2016, mais il m’a fait clairement savoir que les Jeux ne se préparaient pas en un an. Il m’a dit qu’il me restait beaucoup de travail et que pour Rio, je venais un peu trop tard, mais il me préparait pour que nous puissions aller à Tokyo 2020. Pour Tokyo, il était sûr que je serais prête. J’ai tellement travaillé, souffert, et fait des sacrifices que ça a fini par payer. Je ne le remercierai jamais assez, car nous y sommes parvenus. Il s’est tellement investi dans tous les aspects que si je continue aujourd’hui, c’est en partie grâce à lui et à toute l’équipe. Quand on a un rêve, il faut se lever tous les matins, persévérer, et l’atteindre, sans écouter ceux qui disent que ce n’est pas possible.

QUELS SONT VOS OBJECTIFS ? LES JEUX DE PARIS 2024 ? COMMENT VOUS Y PRÉPAREZ- VOUS ?

Mon objectif est de décrocher un ticket pour les Jeux de Paris 2024. Ces Jeux à Paris sont très importants pour moi, car ils représentent une étape mémorable dans ma carrière. Cependant, la préparation olympique est complexe et difficile, car je suis obligée de travailler pour préfinancer les frais qui en découlent, en plus de mes charges personnelles. Par conséquent, je jongle entre mon emploi et l’entraînement en sautant parfois des séances et en les rattrapant le soir après le travail, ce qui est épuisant. Heureusement, j’ai des personnes sur qui je peux compter en cas de difficultés, comme mon entraîneur et son équipe, ma famille, mes amis et tous les encouragements quotidiens qui me permettent de poursuivre mon objectif ultime : participer à mes deuxièmes Jeux olympiques.

COMMENT SONT ORGANISÉS VOS ENTRAÎNEMENTS ?

J’ai une double vie. Malgré la fatigue et les longues journées que j’ai parfois, durant lesquelles je suis active de 8h30 à 22h, je garde toujours mon objectif en tête. Mes entraînements sont maintenant malheureusement répartis dans la semaine en fonction de mon travail, car je suis obligée de travailler et je n’ai pas le choix. J’ai 20 heures d’entraînement obligatoires en salle chaque semaine, comprenant des leçons techniques et tactiques. En plus de cela, il y a des séances de préparation physique, de préparation mentale et de récupération avec un kinésithérapeute qui me permettent de tenir le rythme. Soit je m’entraîne le matin et je travaille l’après-midi, soit je travaille le matin et fais ma préparation physique pendant la pause du midi , puis j’ai sou- vent aussi des entraînements de 20h à 22h, du non stop. Concilier les entraînements, les compétitions et le travail est un véritable parcours du combattant. Avec un emploi du temps aussi chargé, je n’ai pas beaucoup de temps pour ma famille et mes loisirs. Les sacrifices demandés pour atteindre mes objectifs olympiques sont nombreux.


« L’escrime contribue au développement personnel en permettant de s’affirmer, d’améliorer sa gestuelle et de s’organiser dans le temps et l’espace »

« L’escrime m’a permis de gagner en confiance, j’apprends à m’adapter à toutes sortes de situations et à acquérir la maîtrise, le courage et la patience dans l’effort. Cela me rend fière de représenter mon pays. L’escrime est un sport physique, intelligent et passionnant. Il s’agit d’un sport de combat où l’objectif est de toucher son adversaire tout en évitant d’être touché soi-même, ce qui demande un esprit de guerrier. Toutefois, la force physique ne prévaut pas dans ce combat. Un bon escrimeur doit savoir observer, analyser et anticiper, il doit être stratège. L’escrime développe la motricité et l’orientation dans l’espace. On gagne en coordination et en précision des gestes grâce à ce sport. L’escrime est également un sport tactique. On travaille sur la vitesse, les temps de réaction et d’exécution. Il y a des moments pour attaquer et se défendre, ce qui demande une grande capacité tactique. L’escrime apprend à réfléchir.

Enfin, l’escrime favorise la maîtrise de soi. Pendant un combat, il faut être ra- pide dans l’exécution, comme un félin qui se rapproche doucement de sa proie et l’attaque au dernier moment. De plus, il y a un arbitre qui évalue le match, et l’escrimeur doit apprendre à accepter ses erreurs, ne pas se décourager et continuer quoi qu’il arrive.

En résumé, l’escrime est un sport complet qui développe à la fois des qualités physiques et mentales. Sur le plan physique, il nécessite explosivité et endurance. Sur le plan mental, il demande de la persévérance, de la stratégie, de la patience et du courage. L’escrime contribue également au développement personnel en permettant de s’affirmer, d’améliorer sa gestuelle et de s’organiser dans le temps et l’espace. »

Quitter la version mobile