ONU Femmes – Le sport, facteur clé de l’émancipation des femmes en Afrique

Le 11 avril dernier s’est tenu un webinaire organisé par ONU femmes, en collaboration avec Women Sports Africa. Une occasion rêvée pour les intervenants de passer en revue les problèmes rencontrés par les femmes africaines pour exercer une activité sportive au quotidien mais aussi de proposer des solutions durables pour promouvoir l’égalité femmes/hommes dans la pratique du sport sur le continent africain. PAR NICOLAS DIDIERJEAN. Extrait du WOMEN SPORTS AFRICA N°7.

L e webinar, co-dirigé par la directrice régionale d’ONU Femmes pour l’Afrique de l’Ouest Florence Raes ainsi que le directeur de Women Sports Africa Bruno Lalande, avait pour but d’approfondir la problématique de la pratique du sport par les femmes en Afrique. Une étude commanditée par l’Agence Française de Développement (AFD) et conduite pendant neuf mois dans cinq pays différents (Sénégal, Maroc, Egypte, Kenya, Afrique du Sud), qui a permis d’analyser les freins socio-culturels, économiques, et institutionnels à la pratique du sport pour les femmes et les jeunes filles.

Ainsi, cette étude a exposé les tendances suivantes sur le continent africain : les inégalités dans le secteur sportif sont une réalité universelle, les données quantitatives pour évaluer l’implication des femmes dans le sport sont insuffisantes. Les violences exercées à l’en- contre des femmes restent taboues, les femmes sont très peu nombreuses à diriger des organismes de sport, les infrastructures sportives sont inadaptées pour les jeunes filles et mal réparties sur le territoire africain, et l’appropriation de cette thématique par les médias est trop faible. Enfin, les écoles jouent un rôle essentiel dans le développement de la pratique sportive pour les femmes et les jeunes filles en Afrique. À partir de ce constat, les différents intervenants de ce Webinar ont proposé des solutions concrètes pour faire face au défi que représente l’inégalité des genres dans le sport en Afrique.

Études de genre et actions de sensibilisation à mener

Comme le souligne l’ancienne boxeuse professionnelle sénégalaise Khadidja Timera, « être conscient des problèmes existants est essentiel ». À l’instar de l’étude menée par l’AFD, les intervenants encouragent la promotion des études de genre afin de connaître la situation sur le terrain. Le fait d’identifier

les problèmes spécifiques de chaque pays doit permettre de mettre en place une solution adaptée afin de promouvoir l’égalité hommes-femmes de manière efficace. Pour Christophe Dias, chargé de mission sport et développement au sein de l’AFD, il est « important d’encou- rager la production de connaissances et de données sur ce sujet ». Une position partagée par Florence Raes qui souligne la nécessité « d’avoir beaucoup plus de données, quantitatives et qualitatives » afin d’entreprendre des actions publiques ou privées en fonction des réalités des be- soins et des demandes.

Au-delà des études de genre, les intervenants ont beaucoup insisté sur l’importance de sensibiliser les communautés locales. Ainsi, pour Pierre Gony, fondateur et directeur de Terres en Mêlées, une coalition de quatre associations dont une basée à Madagascar, il est crucial de sensibiliser les élèves, les enseignants et les parents à la question des violences basées sur le genre et à leurs conséquences. Pour ce faire, il préconise l’utilisation des données avancées par certaines études. Celle de l’UNICEF da- tant de 2019 démontre que les établissements scolaires et les élèves qui ont bénéficié de programmes de prévention en la matière ont enregistré une diminution des signalements de violence et une augmentation de la confiance en soi. « On peut s’appuyer sur cette étude aujourd’hui au niveau de la sensibilisation des élèves, des enseignants et des parents » avance-t-il.

Les programmes de développement du sport

Selon les intervenants du webinar, le développement de la pratique du sport ne peut se faire sans une forte implication de la société civile et des communautés pour multiplier les impacts et les résultats sur le terrain. Des programmes ont été créés pour que de nombreuses jeunes filles puissent pratiquer le sport, en plus de l’EPS à l’école. Aujourd’hui responsable du football féminin au sein de la Fédération sénégalaise, Seyni Ndir Seck a mis sur pied l’association « Ladies’ Turn » en 2009 (évoquée dans un précédent numéro de Women Sports Africa) afin d’inciter les jeunes filles à jouer au football dans leur quartier et à s’y faire une place. Pari gagné pour l’ancienne capitaine de l’équipe féminine du Sénégal, qui affirme que maintenant, « on joue de partout dans les quartiers de Dakar ». Le défi pour elle est d’étendre la pratique du football par les filles dans le Sénégal entier. Depuis 2016, Ladies’ Turn intervient dans 34 établissements scolaires sur tout le pays. Seyni Ndir Seck se réjouit des résultats obtenus depuis qu’elle a entamé un pro- gramme d’initiation au football en parte- nariat avec Plan International. En 4 ans, une championne sénégalaise est entrée en équipe nationale U17 féminine et a participé aux éliminatoires de la Coupe du monde féminine. D’autres filles ont participé à des tournois interscolaires.

Créée en 2014, Terres en Mêlées utilise le rugby comme outil d’éducation en faveur de l’égalité des genres à Madagascar. Auteure de nombreux projets, l’association est notamment à l’origine de la création du premier championnat national féminin de rugby scolaire à Madagascar. Un projet qui a été soutenu par World Rugby et qui a reçu de nombreux prix.

La fédération internationale du sport scolaire (ISF) est également une organisation très engagée sur la question de l’égalité hommes/femmes en Afrique. Ses actions consistent à faire en sorte que les jeunes filles africaines puissent pratiquer des rencontres et des compétitions entre les écoles puis au niveau international, en plus de l’EPS à l’école. L’ISF fait le lien entre l’école et le milieu fédéral, comme l’illustre la tenue du plus grand tournoi de foot scolaire international en juillet prochain au Maroc : « Une cinquantaine de pays représentés. 22 équipes féminines du monde entier, 420 jeunes filles qui viendront jouer une compétition internationale. Ce sera un grand moment de communication car les jeunes filles vont permettre de promouvoir les choses », annonce le président de l’ISF Laurent Petrynka.

« DES JEUNES FILLES SONT DEVENUES DES AMBASSADRICES DE L’ÉGALITÉ DES GENRES PAR LE SPORT. »

Les modèles comme source d’inspiration pour les filles et leur famille

Les intervenants du webinar ont beaucoup insisté sur l’importance de montrer des modèles comme source d’inspiration pour les jeunes africaines. Mariam Anon Touré, directrice des sports de masse et du genre au ministère des sports de la Côte d’Ivoire, a mis en avant la tenue du festival du sport féminin.

Lors de ce festival, des ambassadrices sont présentées à la jeune population féminine : « on demande qu’elles donnent des messages forts pour encourager ces filles à la pratique du sport » déclare l’ancienne handballeuse.

L’année dernière, le CIO a organisé la Journée Internationale du Sport, avec la mise en place d’ateliers pour la pratique du sport. Pour Khadija Timera, qui est très engagée sur la question du droit des femmes africaines et de leur émancipation, « il est crucial que des modèles sportives féminines soient présentes » pour ce genre d’événements.

À défaut de trouver les équivalents féminins des superstars Mohamed Salah ou Sadio Mané, il est possible de présenter des « des championnes de vie », comme les appelle Pierre Gony. Ces personnes peuvent inspirer les jeunes filles africaines de par leur parcours de vie.

« Au niveau de Terres en mêlées, on a des jeunes filles qui n’ont jamais rien gagné sur le plan sportif, commente Pierre Gony, mais qui, par contre, ont des parcours de vie extrêmement inspirants, et qui sont devenues des ambassadrices, des égéries de l’égalité des genres par le sport ».

La formation des enseignants

Les intervenants du Webinar sont unanimes sur le fait que la formation des professeurs est une des clefs qui permettra de développer la pratique du sport, en particulier chez les filles. Terres en mêlées s’est engagée sur cette question à travers la création du Brevet d’Aptitude d’Education au Développement par le Sport (BAEDS). Ce projet a été mené en partenariat avec l’Ambassade de France à Madagascar, ainsi que deux ministères : celui de la Jeunesse et des Sports et de l’Éducation Nationale. De- puis 2019, 166 professeurs d’EPS ont été formés.

L’ISF forme aussi des professeurs d’EPS dans plusieurs pays d’Afrique. Selon Laurent Petrynka, chaque professeur doit recevoir « un socle intellectuel qui lui donne l’énergie nécessaire » pour faire son métier de façon efficace.

Khadija Timera pense que le fait d’avoir des professeurs de sport femmes se- rait une bonne solution pour inciter les jeunes filles à pratiquer le sport car «cela légitimise la pratique du sport par une femme » affirme-t-elle. Dans le même temps, cela aiderait à régler la question de l’égalité des genres au niveau des entraineurs. L’INSEPS de Dakar ne contient que des hommes. Or, les en- traîneurs sont recrutés dans cet institut. « Cela créé un effet boule de neige où les entraîneurs des équipes féminines sont presque tous masculins. » déplore l’ancienne boxeuse.

« Je ne vais jamais arrêter de me battre », affirme Seyni Ndir Seck. Le combat continue et demandera encore beaucoup d’efforts, mais il se gagnera avec du temps, de la détermination, et des idées.

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