Entretien avec Souad Abderrahim, première femme maire d’une capitale du Maghreb

Souad Abderrahim incarne l’émergence d’une nouvelle classe politique féminine depuis le printemps arabe. Photo DR/

Souad Abderrahim, 57 ans, est maire de Tunis depuis 2018. Une femme inspirante qui a décidé de faire du sport un outil politique volontariste, notamment pour les femmes . Entretien exclusif. PROPOS RECUEILLIS PAR LES ÉQUIPES DE L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MAIRES FRANCOPHONES (AIMF). Extrait du WOMEN SPORTS AFRICA N.5.

MADAME LA MAIRE, MERCI DE CONTRIBUER À CETTE REVUE, WOMEN SPORTS AFRICA. MERCI CAR VOUS AVEZ ÉTÉ LA PREMIÈRE FEMME MAIRE D’UNE CAPITALE DU MAGHREB ET QUE VOUS AVEZ VOULU ROMPRE AVEC LA GOUVERNANCE LOCALE PASSÉE EN VEILLANT D’UNE PART À RAJEUNIR L’ÉQUIPE MUNICIPALE, EN LA FÉMINISANT ET EN ASSOCIANT LA SOCIÉTÉ CIVILE DANS VOTRE MANAGEMENT. MAIS, TOUT D’ABORD, PARLEZ-NOUS DE VOS DEUX GRANDS CLUBS, FORTS D’UNE BELLE HISTOIRE.

Je voudrais tout d’abord vous rappeler que le peuple de mon pays s’est engagé, il y a onze années, dans une Révolution salutaire, qui a placé les Tunisoises et les Tunisois au cœur des décisions. Mais, me direz-vous, quel rapport avec le sport ? En réalité, pendant des années, le sport a servi de légitimation à la dictature, tout en affirmant un besoin identitaire avec une visibilité internationale. Les Jeux méditerranéens de 2001 et la Coupe d’Afrique des Nations de 2004 ont été deux exemples de manifestions destinées à favoriser un consensus au- tour de la figure du chef de l’Etat d’alors.

Pour ma part, fille de la Révolution, j’ai une autre conception du sport, vecteur de rapprochement dans la diversité, moteur du vivre ensemble, outil de la diplomatie moderne entre les villes. C’est pour cela que nous nous investis- sons dans le sport de proximité ainsi que dans le sport d’animation de quartiers et de rues. Je ne vais pas vous faire le panorama de notre politique de ville mais je vais insister, puisque votre revue met en valeur les sportives du monde, sur mon action en matière de soutien au sport féminin. En effet, j’ai veillé à l’augmentation du montant des dons alloués aux associations sportives ayant notamment des branches pour le sport féminin. De même, j’ai noué un partenariat public-privé avec une association via la création d’une branche pour le football féminin. Ce parti pris pour l’encouragement du sport féminin et l’octroi d’avantages aux associations actives dans ce sens a aussi permis la création de clubs de rugby dans deux associations de quartiers. Enfin, pour favoriser la pratique sportive, nous avons aménagé des salles de sport pour abri- ter des activités sportives féminines.

Mais la Ville soutient aussi ses clubs sportifs emblématiques qui assurent le rayonnement de Tunis et de la Tunisie aux échelles arabe et africaine, grâce à leurs performances et le nombre de médailles, de coupes et de championnats gagnés.

Dans ce contexte, nous mettons à la disposition du Club Africain un complexe sportif, dit Parc A, en plus de la salle de sport d’El Gorjeni. Nous mettons aussi à la disposition du Club Sportif Tunisien le Parc B et la salle de sport Zouai. Quant au Tunis Club, il dispose du complexe prestigieux de tennis de la ville. En plus nous veillons nous même à assurer l’entretien périodique de ces complexes sportifs d’envergure.

Je souhaite aussi souligner la contribution importante de la Ville de Tunis à la réussite de la CAN qui s’est manifestée par la réalisation de plusieurs travaux d’aménagement et de réhabilitation en plus de l’animation culturelle et artistique de la Ville.

AU-DELÀ DE CES GRANDS CLUBS, HÉRITÉS DE L’HISTOIRE DE LA TUNISIE, COMMENT CONSIDÉREZ-VOUS LE SPORT ANIMATEUR DE LA VILLE MODERNE ?

Je crois que deux grands courants animent et s’entremêlent pour aimer la ville et pour la structurer. Je pense à la musique et au sport. Les sports inspirent l’espace urbain. Je me souviens de ma première mission à l’étranger. Je m’étais rendue à Kigali, la capitale du Rwanda, pour rencontrer mon homologue elle aussi Maire et à présent ambassadrice de son pays auprès des organisations onusiennes à Genève. Or, il est une tradition à Kigali selon laquelle deux dimanches par mois, le centre-ville est interdit aux voitures, afin que les rues et les espaces publics soient offerts à toutes celles et ceux qui veulent s’adonner à un sport individuel ou collectif. J’avais passé ma journée au milieu de ces femmes et ces hommes de tous les âges sous un magnifique soleil. Un moment de convivialité que je n’oublierai pas. De ces moments sur lesquels se construisent de belles fraternités. Dès mon retour, j’ai souhaité porter cette initiative à Tunis. A Kigali, comme à présent à Tunis, je vois dans cette participation un mouvement pour une meilleure santé individuelle, mais aussi un effort collectif pour surmonter les tensions sociales. D’ailleurs, cette pratique avait été développée à Kigali, après le génocide pour reconstruire l’âme de ce peuple martyr. C’est là un nouveau mode d’expression de l’urbanité.

Au-delà du football, qui est le sport le plus populaire, celui qui canalise une bonne partie de notre société et qui occupe l’essentiel de l’espace social, aujourd’hui, et nous le savons toutes et tous, les relations entre le sport et la ville vont modifier l’urbanisme en renforçant la place accordée à l’humain. Par la création d’espaces de jeux, par l’influence du vélo et de la circulation douce, laquelle récla- mera toujours plus d’espaces dédiés, par le tourisme sportif. Partout, le sport de rue se met en spectacle et son influence est telle que le port de vêtements de marques sportives permet de masquer les différences sociales. De cette réalité, je souhaite, avec le temps, en faire une politique de ville pour Tunis.

Car, à cet égard, j’ai beaucoup d’ambitions. Nous les maires, allons être confrontés à une évolution des modes de consomma- tion du sport. La structure classique du gymnase communal n’est plus à l’ordre du jour. On préfère le plein air. La crise Covid est passée par là, avec la peur des contaminations en salles fermées, ce qui a accentué le phénomène social d’appro- priation de l’espace public pour faire du sport. Mais cette appropriation est encore trop modeste. Une évolution qui deman- dera du temps mais qui, a mes yeux, est essentielle pour la santé de toutes et tous.

Je vais étudier le réaménagement de sols minéraux en faisant identifier ces espaces par des jeux de peintures au sol. Ces playgrounds structureront les quartiers. En les rendant plus harmonieux et plus accueillants.

Voilà une nouvelle relation entre les sports et l’urbanisme. Bien sûr, il faudra assurer une bonne collaboration entre la mairie, les promoteurs et les architectes. Nous devrons aussi penser à l’utilisation de rooftop d’immeubles, notamment des toits de parking, pour en faire des espaces sportifs.

SI L’ON COMPREND BIEN VOTRE VOLONTÉ POLITIQUE, LE SPORT EST EN VOIE DE DEVENIR L’EXPRESSION D’UNE MODERNITÉ. MAIS, EN MATIÈRE DE MODERNITÉ, VOUS ÊTES AUSSI TRÈS ATTACHÉE À APPORTER UN APPUI AUX START- UPS ET À SOUTENIR UNE DÉMARCHE DE SMART CITY POUR VOTRE VILLE. QU’EN EST-IL DE LA PLACE DU SPORT DANS CETTE NOUVELLE GOUVERNANCE DE LA VILLE ?

Nous le savons toutes et tous, les villes se digitalisent par des applications ou des objets connectés, afin de proposer des services plus personnalisés à l’ensemble des concitoyens. Dans ce contexte, je souhaite que des solutions digitales soient utilisées pour permettre aux jeunes habitants de trouver rapide- ment une activité sportive, un lieu pour pratiquer avec des conseils adaptés à leurs envies.

Cette digitalisation passera par l’accès à un catalogue d’activités et de clubs à proximité de chez soi. Je fais confiance à notre jeunesse pour s’associer à la mairie dans le but de mettre en place des plateformes de services. Mais, au-delà de l’offre, nous devrons accompagner et sécuriser la pratique de chacune et de chacun, grâce, là aussi, à la digitalisation. De même, je souhaite que des plateformes se constituent afin de regrouper les adeptes d’un sport, de créer du lien social, d’échanger sur les pratiques. Ces plateformes devront être en mesure de lancer des messages d’alerte, afin de venir en aide à celles et ceux qui sont en difficulté. Je pense notamment aux habitués de course à pied.

La sécurité, mais aussi le financement d’une pratique sportive. Une start-up pourrait mettre en place une économie circulaire et solidaire. Je ne peux être plus claire. Je veux à travers le sport, renforcer le lien entre les citoyens, les entreprises, la municipalité.

En revanche, je ne veux rien construire sur de l’anecdotique. Je veux que le sport renforce l’image de notre ville, pour en faire une « marque », une ville où il fait bon vivre et s’installer.

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