Kanizat Ibrahim a su prendre en main la destinée du football comorien

Kanizat Ibrahim a participé au premier marathon féminin des Comores puis a supervisé le Comité de normalisation pour la Fédération de football des Comores. Elle est aujourd’hui la seule femme siégeant à la Confédération Africaine de football (CAF). Rencontre. PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID TOMASZEK. Extrait du Women Sports Africa N.7.

WOMEN SPORTS AFRICA : VOUS ÊTES COMORIENNE, AVEZ SUIVI DES ÉTUDES EN FRANCE ET ÊTES CHEFFE D’ENTREPRISE. POUVEZ-VOUS NOUS RACONTER VOTRE PARCOURS PERSONNEL ?

KANIZAT IBRAHIM : Je suis native des Co- mores et j’y ai grandi jusqu’à l’âge de 12 ans, effectuant ma scolarité à l’Ecole Française d’Anjouan. Mon adolescence, je l’ai passée à Paris. D’abord scolarisée au lycée Victor Duruy (Paris 7e), j’ai ensuite engagé des études supérieures à l’ile Maurice, pour me rapprocher géographiquement de mes parents, obtenant deux masters, l’un en création d’entreprises et gestion de projets innovants (Bordeaux IV) et l’autre en entrepreneuriat, création reprise et développement d’entre- prises (Institut de la francophonie pour l’entrepreneuriat).

EN 2009, VOUS AVEZ PARTICIPÉ À LA CRÉATION DU PREMIER MARATHON FÉMININ DES COMORES. VOTRE PREMIÈRE IMPLICATION FORTE DANS LE SOUTIEN DU SPORT POUR LES FEMMES EN AFRIQUE. QUELLE A ÉTÉ LA GENÈSE DE CET ÉVÉNEMENT ?

C’est le premier évènement que j’ai organisé dans le monde sportif. Aux Comores, je suis connue dans le milieu de l’organisation événementielle depuis la création de la Jeune chambre internationale aux Comores, où j’ai organisé des évènements pour la promotion de la femme. Le concepteur du Premier marathon a tenu à m’associer au projet. Au départ, nous n’étions que trois. Cependant le concept a vite plu et au fur et à mesure, plusieurs personnalités du monde sportif se sont jointes au projet. Ce fut un succès qui a été repris les années suivantes. Je me réjouis de pouvoir participer à des évènements pérennes et avec un impact positif sur les participants.

« LA FIFA ENCOURAGE ÉNORMÉMENT LA PARTICIPATION DES FEMMES DANS LES SPHÈRES DE FOOTBALL. »

EN 2019, VOUS AVEZ SUPERVISÉ LE COMITÉ DE NORMALISATION POUR LA FÉDÉRATION DE FOOTBALL DES COMORES (FFC). POURQUOI LA FIFA VOUS A CHOISIE POUR CETTE MISSION ? COMMENT AVEZ- VOUS VÉCU VOTRE ARRIVÉE DANS LE MONDE TRÈS MASCULIN DU FOOTBALL ?

La FIFA encourage énormément la participation des femmes dans les sphères de foot- ball. Je rejoins ce monde lorsque je suis nommée présidente du Comité de normalisation de la Fédération de football des Comores. Pendant 15 mois, il a fallu prendre en main la destinée du football comorien qui était en crise. En tant que chef d’entreprise et avec une certaine expérience dans le manage- ment, j’ai su m’adapter et mener à bien la mission qui m’a été confiée en suivant et en respectant la feuille de route qui nous avait été indiquée par la FIFA. Mon expérience de chef d’entreprise et de manageur a dû les séduire. Il faut savoir que j’ai hérité d’une éducation noble et stricte par ma famille. J’ai donc beaucoup de principes et un certain franc-parler. Je pense que cela fait également partie des critères qui ont re- tenu l’attention de la FIFA. Quant à ce milieu majoritairement masculin, je m’y suis très vite adaptée et j’y ai su trouver ma place par mon caractère fort. J’ai l’habitude de diriger des équipes masculines dans le cadre professionnel et cela ne me dé- range aucunement. Lorsque j’ai achevé ma mission à la tête du Comité de normalisation, il n’était pas question de m’éterniser. Il était temps pour moi d’aller relever d’autres défis plus importants au niveau continental.

DEPUIS MARS 2021, VOUS ÊTES LA SEULE REPRÉSENTANTE FÉMININE AU SEIN DU COMITÉ EXÉCUTIF DE LA CONFÉDÉRATION AFRICAINE DE FOOTBALL (CAF). DANS LE CADRE DE CETTE MISSION, QUELLES SONT VOS AMBITIONS POUR LE FOOTBALL FÉMININ EN GÉNÉRAL ET POUR LA PLACE DES FEMMES DANS LE FOOTBALL EN GÉNÉRAL (PRATIQUE DE MASSE, HAUT NIVEAU) ET AU SEIN DES INSTANCES DIRIGEANTES EN PARTICULIER ? AVEZ-VOUS CONSCIENCE DU STATUT DE ROLE MODEL QUE VOUS INCARNEZ À CE POSTE, NOTAMMENT POUR IN- SPIRER LES JEUNES FILLES DU CONTI- NENT ?

KI : Je rêve de voir les ligues nationales de football féminin africain au même niveau que celles des États-Unis et des pays de l’Europe parce que nous avons de très bons talents en Afrique. Nous en sommes encore bien loin mais l’une de mes ambitions porte sur la sensibilisation favorisant le change- ment de mentalités et permettant à toute petite fille de pouvoir jouer au football. C’est une immense joie d’avoir assisté à la réussite médiatique de la dernière CAN Féminine au Maroc qui a eu un impact positif sur la représentation du football féminin sur le continent. Le football féminin occupe une place de premier plan pour la CAF et également pour la FIFA, qui travaillent en synergie pour accentuer son développement.

Notre stratégie quadriennale 2020-2023 vise à multiplier les opportunités de jeu pour les femmes, augmenter le nombre de participantes et offrir des opportunités de carrière aux femmes dans le football.

Nous sommes fières de nos représentantes africaines – du Maroc, de l’Afrique du Sud, du Nigeria et de la Zambie – à la prochaine Coupe du monde féminine de la FIFA qui se déroulera en Australie et Nouvelle-Zélande. Plus, nous allons développer des compétitions pour les femmes et permettre aux femmes de jouer, plus, nous verrons de l’engouement. La progression des femmes se reflète également dans la participation des femmes au sein de l’arbitrage, comme lors de la dernière Coupe du Monde au Qatar. Les arbitres africaines seront également nombreuses en Australie et Nouvelle-Zélande pour le rendez-vous féminin mondial.

Pour soutenir sa croissance et son développement, nous travaillons à mettre en place de nouvelles sources de revenus et tout favorisant l’optimisation de celles existantes.

Il s’agit aussi de créer un écosystème de football féminin africain plus sophistiqué et encourager les rôles de leadership pour les femmes.

Nous devons continuer à encourager la participation, et multiplier les événements. Nous avons désormais deux compétitions majeures de football féminin au niveau de la CAF, la Coupe d’Afrique des Nations et la Ligue des Champions. C’est dans cette lancée que nous continuons d’offrir des opportunités de jeu dans les zones et sur le plan continental.

Le Programme scolaire africain du Président Motsepe profite déjà aux jeunes filles. Il s’agit d’accentuer le travail à la base et de former les jeunes femmes de demain sur le plan sportif tout en favorisant leur éducation.

Il va sans dire que si nous arrivons à cet aboutissement, c’est d’abord un travail réalisé sur le plan national, zonal puis continental par les joueuses. Elles disputent de manière régulière des championnats locaux pour certaines d’entre elles, et d’autres sur le plan international.

« LE FAIT D’ÊTRE LA PREMIÈRE FEMME AVEC UN TEL STATUT DÉMONTRE QU’IL Y A UNE ÉVOLUTION DANS NOS MENTALITÉS. »

Il suffit de voir la courbe de participation au football féminin pour comprendre qu’il a fortement grimpé ces dernières années : il y a désormais 47 associations membres qui possèdent une équipe nationale féminine senior sur les 54 associations membres de la CAF ; cela représente plus de 85 %. Il y a quelques années encore, les chiffres tournaient autour de 50 % de participation. C’est une grande victoire.

Nous comptons sur les médias pour relayer l’information, et accompagner les actions que nous menons et donner de la visibilité aux travaux effectués. C’est aussi une bonne vitrine pour nos talents sur le plan international. Sans l’accompagnement d’un bon cadre nous ne pouvons développer le football féminin. Il est donc important de multiplier les formations pour tous les acteurs intervenants dans cette pratique au sein des fédé- rations (cadre administratif et sportif). Nous parlons aussi bien des coachs, arbitres, médecins, etc. Quant à mon statut de role model, c’est un honneur d’être vue comme tel. J’espère pouvoir continuer à servir le football comme je l’ai toujours fait. Le fait d’être la première femme avec un tel statut démontre qu’il y a une évolution dans nos mentalités. Mes atouts portent, je pense, sur mon engagement et ma détermination démontrés lors de ma présidence au comité de normalisation à la Fédération de Football des Comores. J’ai rempli ma mission et n’ai pas cherché à jouer les prolongations. J’ai toujours été perfectionniste, et j’aime relever les défis.

C’est une fierté de pouvoir présider aux destinées du football féminin en Afrique, mais c’est une lourde responsabilité, car le continent et le monde entier m’observent. Cette réussite, je la dois d’abord à mes convictions, à ma foi, et à ma famille qui m’a beaucoup soutenu dans ma lancée. Réussir ne peut que me réconforter et me pousser à aller encore plus loin. J’espère pouvoir inspirer d’autres femmes à oser croire en leur rêve et relever leur défi. Car après tout, c’est en osant que nous réalisons nos ambitions. Je crois aussi à la force divine et j’ai foi en elle.

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