Laurence Fischer : le sport, arme de (re)construction massive !

Laurence Fischer est la nouvelle Ambassadrice pour le sport. Un poste qui va lui permettre de faire rayonner le sport, la diplomatie, les combats de sa vie.

« En tant qu’ambassadrice, je suis une facilitatrice », déclare Laurence Fischer. (Photo by Anthony Dibon / Icon Sport)

Triple championne du monde de karaté et engagée depuis plusieurs années auprès des femmes victimes de violences à travers son association « Fight for Dignity », Laurence Fischer est, depuis le 1er juillet 2019, Ambassadrice pour le sport. Un poste très officiel au sein du ministère des Affaires étrangères qui va lui permettre de faire rayonner le sport, la diplomatie sportive et les combats de sa vie à grande échelle.

Propos recueillis par David Tomaszek
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.15 de janvier-février-mars 2020

La vie de Laurence Fischer est un roman. Netflix aurait de quoi en faire une série à plusieurs saisons. On va se contenter d’un pitch avec quelques extraits des moments les plus forts. Accrochez vos ceintures. On va parler karaté, sport-business, crimes de guerre et diplomatie. On va partir en Afghanistan, au Congo et en Haïti, en passant par Marseille, la Seine-Saint-Denis et Cergy-Pontoise. Le tout conté avec le sourire par Laurence Fischer en personne, l’Ambassadrice la plus cool du monde. C’est parti ! 

Épisode 1 : comment je suis devenue championne

Le karaté n’était pas un sport pour lequel Laurence Fischer était forcément prédestinée. Mais son papa enseignait la discipline et a insisté pour qu’elle s’y essaie. Une première fois dès l’âge de 6 ans. Sans succès. Une seconde fois à l’adolescence. « J’étais timide et introvertie. Il m’a dit : tente à nouveau ce sport, ce sera bon pour toi. » Cette fois, la machine est lancée. Entraînée par son père, Laurence devient très vite performante. À 16 ans, elle est détectée par la fédération. « À l’époque, il y avait peu de compétitions pour les femmes en karaté. C’est une discipline qui était fermée aux féminines jusque dans les années 1980. J’ai vécu les années d’ouverture. Les règles ont également changé : les K.O. ont disparu. Désormais, la moindre touche est disqualifiante. » En 1998, Laurence est âgée de 23 ans lorsqu’elle déroche son premier titre de championne du monde, à Rio de Janeiro. « J’étais besogneuse, je travaillais énormément. C’était le titre de la récompense. » Puis elle passe à la vitesse supérieure grâce à un concept tout simple : la mixité. « En 1998, un pôle d’entraîneurs a été créé et les équipes de France masculine et féminine regroupées. On s’est entraîné en mixité. Nous, les filles, avons énormément progressé. Et aujourd’hui, ce sont les femmes qui apportent le plus de médailles à la France dans les grandes compétitions ! » Son deuxième titre de championne du monde est collectif, en 2000. « Un titre par équipe, première fois que l’équipe de France féminine est championne du monde, c’est magique ! Le plaisir est partagé, donc décuplé ! » Son troisième et dernier titre de championne du monde sera individuel, en 2006. Une année charnière dans la vie de Laurence Fischer. 

Épisode 2 : une Grande Ecole de Commerce, pour montrer l’exemple

La 28e année de Laurence Fischer est la première du reste de sa vie. Elle a décidé de mettre un terme à sa carrière sportive à l’issue de la saison. Elle travaille déjà à temps partiel (des contrats pour Engie, Canal + ou Nike) : c’est le lot des sportifs de haut niveau dans les disciplines non professionnelles. Mais pour sa reconversion, elle voit plus grand. Elle a entamé un cursus complet à l’ESSEC, partageant le banc de l’école avec des étudiants fraîchement issus de la filière prépa aux Grandes Écoles de commerce bien plus jeunes qu’elle. « J’étais sur le campus de Cergy-Pontoise. Je cumulais le sport, les études et le travail. Pendant que mes camarades de classe menaient une vie festive d’étudiants, le soir, j’étais focalisée sur mes révisions ! » Le choix de ce cursus difficile tient au caractère de Laurence. Mais aussi à sa détermination à « acquérir des outils de gestion pouvant permettre d’intégrer le milieu de l’entreprenariat, et démontrer par là que les sportifs de haut niveau sont faits pour réussir dans le monde de l’entreprise ». C’est son premier combat. Prenez des notes, car c’est loin d’être le dernier. « C’est un vrai sujet pour les athlètes : le double projet. Nous avons des capacités en tant que sportifs car nous sommes travailleurs et savons nous fixer des objectifs. Il faut faire confiance aux sportifs. Leur donner les moyens de réaliser ce double projet. » 

A l’issue de cette dernière année d’ESSEC, Laurence décroche un Master of Science in Management et chaire internationale de marketing sportif mais aussi un ultime titre de championne du monde et bascule vers sa nouvelle vie qui sera dédiée… aux autres. 

Épisode 3 : en zone de guerre 

En marge de sa carrière sportive et de ses études, Laurence s’est engagée dans des causes sociétales avec une obsession : faire du sport en général – du karaté en particulier – une arme de (re)construction massive. Une sensibilité qu’elle a depuis toujours et pour laquelle elle avait pu s’engager dès 1998, dans les quartiers Nord de Marseille. Elle collabore avec plusieurs associations spécialisées en la matière, comme l’Agence pour l’éducation par le sport (APELS) ou Premiers de Cordée, dont elle deviendra administratrice, mais aussi l’ONG Sport sans Frontières – qui sera rebaptisée Play International – avec laquelle elle va connaître sa première expérience marquante à l’étranger. Elle décide en effet, dans le cadre de son stage de fin d’études, de s’embarquer avec cette association pour une mission d’un mois à Kaboul, en Afghanistan. Bienvenue en zone de guerre. « C’était pour accompagner une mission en faveur de l’empowerment des jeunes femmes qui composaient l’équipe nationale afghane. Elles avaient entre 12 et 16 ans. Pour chaque déplacement, j’étais voilée. On ne prenait jamais le même chemin. On est allées à ce fameux stade où il y avait eu les exécutions par les Talibans. Les voitures étaient fermées à clé. Des hommes armés de Kalachnikov gardaient l’entrée… » Ce voyage en terre inconnue, à la rencontre de l’autre, ne sera pas le dernier. « Nous nous sommes rendus en Haïti avec un groupe d’athlètes, après le séisme. J’ai également participé à un voyage solidaire au Burundi. Plusieurs « one shot » un peu frustrants. J’avais envie de m’engager sur le long terme. » 

Épisode 4 : de la résilience à l’empowerment

C’est alors que Laurence fait une rencontre décisive. Lors du Forum mondial des femmes francophones, elle écoute l’histoire édifiante racontée par le Dr Denis Mukwege, co-Prix Nobel de la Paix en 2018. Ce gynécologue, qui a échappé de peu à la mort lors de la guerre du Congo, a fondé l’hôpital Panzi au sein duquel il a monté une structure pour accueillir des femmes victimes de viol du guerre, la « Maison Dorcas ». Oui, vous avez bien lu : le viol était utilisé comme arme de guerre. « Des femmes ont été sciemment humiliées et mutilées pour déstabiliser des villages. » Le Dr Mukwege a créé la « Maison Dorcas » pour héberger plusieurs de ces jeunes femmes, âgées de 12 à 18 ans, et leurs enfants issus des viols. Des femmes traumatisées physiquement et psychologiquement, que la structure accompagne de manière holistique vers l’autonomie et l’inclusion sociale. Laurence est bouleversée et décide de s’engager pour ces femmes qu’elle appelle des « survivantes ». « Je me suis dit que le sport pouvait être un outil de reconstruction. Le traumatisme est arrivé par le corps, comment peuvent-elles se le réapproprier ? » Un combat qu’elle mènera d’abord au Congo. « Ces jeunes filles sont en État de Stress Post Traumatique (ESPT) dont les conséquences peuvent notamment être un état dépressif, suicidaire, hypersexualité, frigidité, grande fatigue, douleurs et risques de maladies cardiaques. Elles peuvent également développer une mémoire trauma- tique : un bruit, un geste peut réveiller les mauvais souvenirs. Le rapport au corps s’est réduit à néant. » 

Des cours de karaté pour des femmes victimes de viols de guerre. 

Laurence recrute un enseignant congolais, le forme. Ensemble, ils mettent en place des séances de karaté et de football. « Pour leur apprendre à se défendre. Mais aussi et surtout pour leur permettre de regagner confiance, retrouver des sensations. Nous avons adapté la pratique : travail de respiration de décontraction avec des exercices autour du bassin, identifier les muscles du corps, notamment ceux du périnée. Le jour où une petite m’a dit « je veux enseigner », c’était une première victoire. » 

« Les tensions politiques restent à l’écart du tatami ». (Photo DR/.)

Laurence poursuit son combat en France,dans le care dece qui deviendra l’association Fight For Dignity dont le slogan est : « De la résilience à l’empowerment : quand le sport enseigne l’estime de soi, quand le corps engage la transformation ». Pour les femmes victimes de violence, françaises ou réfugiées, elle met en place des cours de karaté, en Seine-Saint-Denis. Un programme qu’elle veut désormais théoriser, en s’appuyant sur une recherche action menée en partenariat avec l’Université de Strasbourg. « Il faut que l’on comprenne, avec les chercheurs, comment aider. Comment une femme qui éprouve de la colère va s’en décharger. Donner un coup de poing, pousser un cri, se laisser aller avec le corps en mouvement, c’est une piste ! Les femmes avec qui je parle sont des « survivantes », des super héroïnes. Il y a des ressources en nous qu’on ne soupçonne pas. C’est possible ! Il faut les trouver et les valoriser. Il faut planter la graine et trouver le bon terreau pour qu’elle pousse dans les meilleures conditions. » Après la Maison des femmes de Saint-Denis, des structures  similaires voient le jour à Nantes, Bordeaux, Brive… Et ce n’est qu’un début. 

Épisode 5 : après les coups de poing, la diplomatie

On zappe de nombreux épisodes de la vie (trop ?) trépidante de Laurence Fischer pour rallier directement l’année 2019. Le 7 mars, la ministre des Sports, Roxana Maracineanu assiste à la présentation annuelle de l’association Fight for Dignity. Elle reste longuement après la présentation, pose de nombreuses questions. Trois semaines plus tard, le téléphone de Laurence sonne : son nom a été proposé pour le poste d’Ambassadrice pour le sport. Après une série d’entretiens et un décret ministériel, la nouvelle saison du feuilleton Laurence Fischer peut commencer : elle est désormais officiellement Ambassadrice. Un rôle qui lui convient à merveille. « Lorsqu’on est athlète, on représente la France à l’étranger. On est diplomate. On porte les valeurs du sport et on est porté par elles. Le sport est un langage universel. » Le sport est un moyen puissant de diplomatie  pour une raison que Laurence résume d’une formule : « Les tensions politiques restent à l’écart du tatami ». Mais en quoi consiste exactement le travail d’Ambassadeur pour le sport ? Depuis quelques années, l’État français a créé des postes d’Ambassadeurs thématiques sur la santé, l’environnement, l’égalité hommes-femmes ou, donc, le sport. « Le sport est un outil de « soft-power » et d’influence internationale. La France dispose d’un réseau diplomatique puissant. Mon rôle est de faire en sorte que le sport soit utilisé par ce réseau, via des référents sport dans chaque pays. Que le sport contribue à faire rayonner la France, partout dans le monde. » 

« Une équipe de France du sport-business et développement. »

Concrètement, l’Ambassadrice pour le sport, au sein du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, travaille en réseau, avec les ambassades mais aussi avec de nombreuses instances françaises. A commencer par le Ministère des Sports et les comités de candidature des grands événements sportifs, qu’elle accompagne en amont et en aval de leur campagne. 

Mais aussi avec les opérateurs de l’État qui contribuent à exporter le savoir faire français grâce au sport, comme Business France, qui dépend des ministères des Affaires Etrangères et de Bercy, ou le GIE France Sport Expertise, né sous l’impulsion du ministère des Sports « En tant qu’ambassadrice, je suis une facilitatrice. » Pour le voler attractivité touristique, Laurence Fischer travaille avec Atout France, uns instance qui accompagne par exemple le Tour de France et la coupe du monde de rugby en 2023. Et sur le plan de la coopération internationale, l’interlocuteur est l’Agence Française de Développement (AFD), qui lancera dans le cadre du sommet FranceAfrique en juin 2020, une plateforme de développement par le sport. Vous l’avez compris, on est loin des tatamis. Le nouveau combat de Laurence se mène sur la scène diplomatique. Avec par exemple un récent voyage au Japon, qui accueillera les prochains Jeux Olympiques et Paralympiques, pour le lancement en avant-première du label « Terre de Jeux », mis en place par le COJO Paris 2024, décerné à l’Ambassade de France à Tokyo. L’ambassade organisera des activités sportives pour s’impliquer pleinement dans la dynamique Paris 2024 autour des thèmes de la célébration, de l’engagement et de l’héritage. 

La stratégie de Laurence Fischer dans sa nouvelle fonction particulièrement transversale, c’est d’adapter les techniques qui ont fait sa réussite en tant que sportive pour « créer une équipe de France du sport business et développement ». « Quand on a été athlète à très haut niveau, que l’on a côtoyé la performance, on a une capacité à gérer la pression et à transmettre. » 

Épilogue : le plus fou, c’est que l’histoire ne fait que commencer 

Laurence Fischer a fêté le 7 novembre dernier son 46e anniversaire. Elle fait donc partie des plus jeunes ambassadeurs de France. La prochaine saison ne sera pas la dernière… 


 

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