Sylvie Le Maux, Présidente de l’Alliance Francophone d’Escrime : « L’objectif est double : faire la promotion de l’escrime dans l’espace francophone, et faire la promotion de la francophonie dans l’espace escrime »

Sylvie Le Maux. Photo DR/

Sylvie Le Maux, Directrice générale de la Fédération française d’escrime, est une femme engagée. Très attachée au sport et à la Francophonie, elle nous présente l’Alliance Francophone d’escrime, dont elle est présidente. Entretien exclusif. PROPOS RECUEILLIS PAR VANESSA MAUREL. Extrait du WOMEN SPORTS AFRICA N.5.

QU’EST-CE QUE L’ALLIANCE FRANCOPHONE D’ESCRIME ?

C’est un rassemblement des fédérations francophones qui répondent à un objectif commun qu’est la promotion de l’escrime dans l’espace francophone, à l’initiative de la Fédération française. En sachant que l’escrime est avant tout un sport français, que la Fédération internationale avait normalement l’obligation de parler notre langue, il est beau de remettre le français parmi les langues les plus parlées dans l’escrime.

COMMENT A-T-ELLE ÉTÉ CRÉÉE ?

Nous avons pris cette initiative, puis j’ai appelé Yann Bernard, le président de la Fédération du Canada, pays qui est un grand allié de la France dans tous les su- jets liés au sport. Il a dit que c’était une excellente idée. S’il avait dit le contraire, je me serais arrêtée là. Mais son approbation n’a fait que renforcer notre idée. Alors j’ai ensuite pris contact avec des pays francophones, surtout d’Afrique, puisque je sais qu’il y a beaucoup de relations entre la Fédération française et les fédérations africaines. J’ai appelé le Ma- roc, la Tunisie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo. Les pays plus proches de nous géographiquement ont manifesté un enthousiasme certain. Ils ont aussi estimé que c’était à la France de porter ce projet, notamment avec Paris 2024 en ligne de mire. Ce n’était pas un devoir qu’ils nous imposaient mais une sorte de légitimité naturelle qu’ils nous conféraient. Pour autant, certains de ces pays avaient des doutes. Ils se rappelaient qu’en 2010, la Fédération française avait voulu mettre en place une Union francophone d’escrime. Projet qui n’a jamais vu le jour, les statuts n’ont jamais été déposés. Mais cela ne m’a ja- mais angoissée car je sais très bien que la francophonie ne doit pas être que de la littérature.

C’est certes une philosophie avec des valeurs, mais ce n’est pas que ça. C’est surtout quelque chose de très concret. Quand je parlais des objectifs précis à mes interlocuteurs, ils avaient de plus en plus confiance en le dispositif.

JUSTEMENT, QUELS SONT LES OBJECTIFS DE L’ALLIANCE FRANCOPHONE D’ESCRIME ?

L’objectif est double : faire la promotion de l’escrime dans l’espace franco- phone, et faire la promotion de la francophonie dans l’espace escrime. Mais il faut préciser que nous ne sommes pas un contre-pouvoir envers la Fédération internationale. Nous avons d’ailleurs contacté son président de l’époque, Ali- cher Ousmanov, pour lui expliquer notre projet, lui expliquer que nous voulions apporter notre pierre à l’édifice.

Nous avons comme premier objectif de candidater aux Jeux de la Francophonie, puisque l’escrime ne figure pas à son programme. En 2023, nous voudrions y figurer soit comme un sport de démonstration, soit carrément intégrer le programme.

Ensuite, nous produisons un dictionnaire de la langue française et de l’escrime. Même si l’estime internationale est normalement française, les règlements sont écrits en anglais. Or, et comme dans beaucoup de sports, il y a en escrime beaucoup de nuances. Un geste technique ne se traduit pas de la même façon en anglais et en français, parce qu’il y a des nuances apportées par la langue française qui parfois n’existent pas dans les autres langues. Comme ensuite le règlement est traduit en russe, en espagnol etc, on perd tout le sens et cela impacte l’application du règlement, puis l’arbitrage, et logique- ment le jeu. C’est le Luxembourg qui porte ce projet-là, avec Daniel Zielinski.

Par ailleurs, à la Fédération française, nous avons mis en place le concept des villes partenaires. C’est-à-dire que dans la perspective des Jeux 2024, il y a des villes qui nous suivent et nous accordent des avantages financiers, techniques ou autres pour préparer nos équipes. Nous avons mis nos 25 villes partenaires en contact avec les pays francophones pour leur permettre d’avoir un contact de confiance et de qualité pour les accueillir dans la perspective des Jeux Olympiques de Paris.

Nous souhaitons avant tout allier nos forces. Les pays francophones d’Afrique ont souvent besoin de formation. Le Rwanda par exemple compte trois clubs, contre 770 en France. Mais ils ne savent pas comment former leurs maîtres d’armes. Donc notre rôle est de leur en « prêter ». Il n’est pas com- pliqué pour nous de leur envoyer un maître d’armes, qui va former d’autres maîtres d’armes, et permettre d’ouvrir des clubs. Ce n’est pas grand chose, au-delà de payer un billet d’avion, pour leur permettre de développer l’escrime.

Dans cette même optique, nous allons nous inspirer de modèles qui fonc- tionnent bien à l’étranger. Il nous reste une belle marge de manœuvre pour progresser. Par exemple, nous allons signer des ententes avec certains pays, comme avec le Canada, qui est bien pus avancé que nous sur l’approche de la préparation cognitive. On va se rappro- cher d’eux pour progresser à ce niveau et en contrepartie, nous mettrons à leur disposition notre savoir.

Nous ne souhaitons pas rester can- tonnés aux Fédérations. Quoique nous ayons déjà 12 pays fondateurs, plus une dizaine d’autres pays qui devraient nous rejoindre d’ici peu, nous aimerions faire la promotion de l’escrime à l’inter- national. Et pour cela, nous comptons sur les communautés francophones à l’étranger. Par exemple, au Japon, un directeur d’école nous a contactés en marge des JO de Tokyo, pour qu’on lui rende visite afin de promouvoir ce sport qu’il aime tant. Même si à cause de la Covid cela n’a pas pu se faire il pourrait nous servir de volet. Grâce à ce genre d’institution, nous pourrions faire la promotion du sport dans des pays où il y a de grandes communautés franco- phones.

À la Fédération française, nous avons développé un cahier des charges pour être capable de fabriquer des salles d’armes, des kits tout simples de proximité, comme des « city stades » mais version escrime. Nous proposons cet outil à nos pays francophones. En effet, en Afrique, la difficulté est de trouver des lieux pour pratiquer. Les pays partenaires pourront proposer ce kit à leur collectivité ou à un gouvernement pour promouvoir la discipline. En Afrique, ce n’est pas forcément naturel de penser à l’escrime. Il est donc de notre devoir de les aider à promouvoir le sport.

Et puis il ne faut pas oublier que, comme beaucoup de sports, on peut être en difficultés pour continuer d’exister. Aujourd’hui, on ne va pas se le cacher, les jeunes préfèrent sûre- ment faire du hip-hop que de l’escrime. Donc il faut qu’on se renouvelle. Nous arrivons avec un nouveau mouvement qui doit continuer de promouvoir l’escrime avec un modèle entendu par la jeunesse mondiale. Le sabre laser par exemple, que nous promouvons particulièrement en France, peut-être le futur. Ce n’est pas Star Wars, avec trois coups d’épée lumineuse ! C’est une arme particulière qui complète les trois qui existent déjà, avec des com- pétitions, des règlements, des pistes circulaires et pas rectangulaires. C’est un nouveau modèle que les jeunes adorent !

Aujourd’hui, l’escrime s’organise avec un cahier des charges que je trouve personnellement très compliqué. Comment voulez-vous faire la promotion de l’escrime avec un cahier des charges comme celui-ci ? Avec la Tunisie, on finalise un petit cahier des charges pour monter des compétitions simples, mixtes, et prévues sur une demi-journée. Avec ce module de compétition il est possible de promouvoir le sport sur les places publiques ou autres. Et cette idée, je veux également la ramener en France.


LE SPORT, L’ESCRIME, LA FRANCOPHONIE ET SYLVIE LE MAUX, UNE LONGUE HISTOIRE D’AMOUR

« J’ai toujours adoré tous les sports, même si j’ai particulièrement fait de l’athlétisme, où j’ai été en équipe de France. Le sport m’a permis de découvrir le monde, de voir combien il était riche. Combien la culture et l’humanité étaient diverses et riches partout. J’ai découvert l’escrime dans le cadre d’une de mes missions professionnelles. J’ai sympathisé avec quelques maîtres d’armes. Ils m’ont proposé d’essayer au Racing club de France, ce que j’ai fait. J’ai trouvé ça très sympa, et j’ai monté le trophée international universitaire d’escrime. Je suis arrivée naturellement à la Fédération française d’escrime quand le président m’a sollicitée pour prendre le poste de directrice générale. J’aime profondément le milieu du sport, ses dirigeants, ses pratiquants.

J’ai par ailleurs toujours été très attachée à la langue française et donc à la francophonie. Il faut savoir que le CIO a imposé dans ses statuts que tous les Jeux soient organisés en français et en anglais. Quand il y a conflit entre les deux, c’est le français qui devrait l’emporter. Or on en est loin, et c’est un combat qui m’est cher. Je trouve regrettable qu’on ne s’en tienne pas à ça. »

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