Aminata Diene, que son père surnommait Amicolle, nous raconte comment elle s’est hissée plus haut que ce qui la prédestinait. Grâce à la force que lui a inculquée son père en la quittant prématurément et la fierté qu’elle espérait voir dans l’oeil de sa mère. Surmonter le deuil de son père, s’affranchir des carcans, se montrer plus forte que ce que les autres prédisaient pour elle, avancer malgré tout, grâce et avec le sport qui est à la fois sa passion et son métier, au sein de Decathlon Sénégal. Récit d’une femme ordinaire au destin extraordinaire.
Par Léa Borie
Extrait du magazine WOMEN SPORTS AFRICA N°3 été-automne 2021
Si Aminata Diene est née au Bénin de mère béninoise, son père était sénégalais. Ce qui l’a marqué durant son enfance: ses parents polygames. Sa mère a été la dernière épouse de son père. Aminata a grandi dans une famille nombreuse de plus de 15 personnes. La relation avec ses demi-frères et demi-sœurs était souvent tendue.
Les études : le début d’un parcours semé d’embûches
Aminata Diene était une jeune fille passionnée par le fait d’apprendre. « C’était dur de rester concentrée avec tous ces cris à la maison. Réservée, refermée sur moi-même, je trouvais un certain réconfort dans les études. Ainsi, dans ma chambre partagée avec mes demi-sœurs, au milieu de mes cahiers je restais dans ma bulle. C’était mon endroit pour me concentrer. » Preuve en est son premier succès : jeune fille, elle a réussi à obtenir son bac du premier coup alors qu’elle le passait en candidat libre. Elle prend ensuite des cours par correspondance pour passer son BTS en Côte d’Ivoire, avant d’obtenir son Master 1 en communication.
Mais à l’époque, c’est son oncle qu’elle a dû convaincre de son acharnement et de son sérieux pour qu’il lui finance ses études. Son père ayant une santé fragile, il ne pouvait plus assumer ses frais de scolarité. Si son frère l’a aidée au début, après son mariage il n’a plus pu assumer ces dépenses. Aminata se souvient lorsque son oncle a pris l’initiative de l’aider : « C’est une fille qui sait ce qu’elle veut et qui doit être encouragée ». Et tous les mois, elle passait récupérer l’argent pour régler sa scolarité.
Premières expériences professionnelles chaotiques
Après ses études, elle commence des petits jobs non rémunérés de livraison de repas sur les lieux de travail pour travailler malgré tout. Puis elle trouve un stage dans un réseau de téléphonie mais tout ne se passe pas comme elle l’aurait imaginée. « J’étais noire dans un environnement de filles au teint clair, pas très sexy dans ma manière de m’habiller, en tout cas pas assez féminine visiblement par rapport aux autres, alors que moi, je m’habillais pour être à l’aise.
Mais au-delà du style, on me demandait de devenir quelqu’un que je n’étais pas. » Par la suite, la jeune femme trouve un autre travail, mais une fois encore, elle ne se sent pas à sa place : « J’ai été draguée par mon propre patron ! Je me suis alors demandée si j’avais envie de grandir ainsi dans cette société. Mon éducation m’empêchait de répondre à une «promotion canapé». »
A qui, à quoi s’accrocher ?
Quand adolescente, Aminata Diene a vu son père de plus en plus paralysé par la maladie et les rôles se brouiller entre ses deux parents, elle a compris certaines choses : « Maman, finalement, c’était devenue Maman-Papa ». Cette dernière a toujours été au centre de sa motivation : « Je l’ai vu se battre pour qu’on puisse tous manger, nous ses propres enfants et ceux à sa charge. C’est un exemple de courage pour moi, qui a été là dans les moments les plus durs pour mon père (…) Je me suis dit très jeune que je ne voulais dépendre de personne, ce qui m’a rendue forte ».
Quant à son père, il faisait partie d’une grande famille léboue, musulmane très pratiquante. Il lui répétait souvent : « Tiens bon, tu iras loin. Dieu est grand, il faut que tu pries. » C’est après sa mort qu’elle déclare avoir fait un travail incroyable…
Le grand départ : un voyage initiatique
Petite, Aminata Diene passait ses vacances au Sénégal. Et c’est un manque du pays avec lequel elle a grandi. Même quand elle rentre dans la vie active, elle n’attend qu’une chose le soir, rentrer et s’asseoir à côté de son père. Déjà à cette époque, il lui soufflait : « Je suis sûr que tu vas retourner vivre au Sénégal. » C’était son souhait.
« Et il avait raison mon père : tu ne peux pas enlever le Sénégal au Sénégalais ! » A la mort de ce dernier, l’atmosphère devenait encore plus lourde à la maison. Elle lançait à sa mère : « Je ne sais pas où mais il faut que je sorte de cette maison ! » C’est à cette période qu’elle croise une connaissance qui lui demande ce qu’elle veut faire, elle répond quitter le Bénin et étudier la communication au Sénégal. Cette personne l’aide alors à s’inscrire à Eticca, l’école à Dakar en communication des entreprises, ville où elle part rejoindre l’un de ses frères déjà installé là-bas.
« Je dois me débrouiller tout en restant fidèle à mes valeurs. Je garde en tête que je pars toujours avec un handicap quelque part, donc je me dis que tout ce que je vais entreprendre, je dois le faire bien ». Elle trouve un travail dans un réseau de téléphonie, mais une fois encore, elle n’est pas pressentie. « On propulse une personne qui a eu un diplôme à l’extérieur et non en Afrique comme moi… » Elle se retrouve alors au chômage plusieurs mois. « Je suis certes dans le pays de mon père, mais il n’y a pas de parcours tout tracé, rien n’est gagné sur ma trajectoire. Ma victoire, je suis allée la chercher ! »
Elle finit par trouver un job en agence de marketing digital. Elle est freelance mais ses revenus ne sont pas réguliers. Sauf que la roue finit par tourner. Elle voit passer une annonce sur les réseaux sociaux : une entreprise influente cherche une assistante passionnée de sport. « Je suis allée à l’entretien comme si c’était l’entretien de ma vie, avec une confiance en moi énorme. C’est alors qu’on me confirme sur le champ que je fais l’affaire: je deviens responsable e-commerce de Décathlon Sénégal ! »
Elle se souvient de la joie incommensurable de sa mère en apprenant la nouvelle. « Elle chantait de bonheur ! Elle avait placé beaucoup d’espoir sur moi, je suis celle de ses enfants qui est allée le plus loin dans les études ».
Récit dans le récit : l’histoire d’un déclic
Au décès de son père, Aminata se venge sur le pot de pâte à tartiner… Ma mère me regardait attristée, me lançant : « Ton père n’aurait pas aimé te voir comme ça. Prends-toi en main ! » La jeune femme se regardait alors dans le miroir et détestait ce qu’elle voyait. « Je me disais : « Quand tu n’étais pas en surpoids, tu avais déjà toutes les peines du monde à trouver du travail, alors là…»
Lors d’une balade à Dakar, avec mon frère, ce dernier s’arrête dans une pharmacie pour se peser. Il dit à la pharmacienne que je ne voudrais jamais me peser mais que je fais plus de 100 kg. Je le défie. Effectivement… Je pesais 115 kg ! Ça a été un choc, la plus grosse claque de ma vie. C’est à ce moment précis où j’ai décidé de me prendre en main. Dès le lendemain matin, j’ai commencé à faire du sport sur la place. Je n’avais pas de souffle, il a fallu bosser le cardio progressivement. Déterminée plus que jamais, j’allais courir avec mon frère. Mais deux mois après, celui-ci a dû partir en Côte d’Ivoire. Je n’avais plus personne pour me booster. C’est là que le sport est devenu mon allié. J’ai réalisé que j’étais arrivée dans une impasse : comment veux-tu être au chômage, prendre du poids, vivre sans argent… Les Sénégalaises ne sont pas très sportives d’une manière générale, elles se demandaient pourquoi je passais mon temps en tenue de sport. Je n’écoutais pas, parce que j’avais un objectif : je devais reprendre ma vie en main ! Et ce sans finance, donc j’allais fouler le sable, ne pouvant me payer une inscription en salle de sport.
J’ai commencé à poster des séances de sport sur mon compte Facebook. Et des connaissances m’ont demandé pourquoi je ne créais pas une page dédiée pour motiver d’autres personnes. C’est ainsi qu’Amyfit est né ! Au départ, des vidéos amateurs toutes simples. Je ne cherchais pas à m’inventer une vie, je parlais juste de ce que je connaissais en nutrition, en coaching, de façon autodidacte. C’est notamment grâce à ce volet blogueuse fitness que j’ai décroché le poste chez Decathlon, car ils recherchaient des vrais passionnés de sport ! C’était une preuve de plus pour le recruteur que je me donnais à fond, que j’avais une vraie histoire à raconter !
Prise de conscience sportive : regard dans le rétro
En remportant son premier CDI avec Decathlon, Aminata a besoin de temps pour s’adapter à sa nouvelle vie. Pour elle, ce n’est pas parce qu’elle avait trouvé chaussure à son pied professionnellement qu’elle allait devenir une férue de sorties ou de shopping. « Ça a été compliqué au début, je craignais que mes fréquentations veuillent me contrôler ».
Aujourd’hui, elle ose s’affirmer, mais sait que tout est encore à construire. « La route est longue, je n’en suis encore qu’à la moitié. Jusqu’à la fin, il faut continuer de se battre. Ce n’est pas pour avoir le nom de Décathlon que je suis là où je suis aujourd’hui, mais pour la satisfaction d’impacter des vies, de faire plaisir à ma mère, de faire mentir tous ceux qui nous ont dit qu’on ne ferait rien de nos vies. Toutes ces phrases qui auraient pu m’empêcher d’avancer, et qui au contraire m’ont motivée. »
En regardant dans le rétroviseur, Aminata est fière de tout ce qu’elle a su mettre en place dans son travail et au-delà. « J’ai appris à décider. En quatre ans à Décathlon Sénégal, j’ai pu prendre davantage de responsabilités, j’ai vite appris, et on m’accorde une grande liberté. Je me retrouve pleinement dans les valeurs que porte l’entreprise. Le sport n’est plus une contrainte pour moi aujourd’hui, c’est ma vie : dans mon travail, mes hobbies, ma façon d’être et de me sentir bien dans mon corps.
Ça a forgé la personne que je suis aujourd’hui. Bien sûr que je rencontre des difficultés, mais je ne les appréhende plus de la même façon. On est en développement perpétuel : on doit tout faire pour être meilleure qu’hier ! »