Véhiculer la paix par le sport, faire reconnaitre et changer la vision du sport féminin au Mali. Tels sont les objectifs de Aminata Makou Traore Sy. L’ancienne championne d’Afrique de Taekwondo a mis un terme à sa carrière sportive pour faire bouger les lignes dans son pays. Elle nous raconte son expérience de sportive et adresse un message d’espoir. PROPOS RECUEILLIS PAR KÉVIN CARRIERE. Extrait du Women Sports Africa N°4.
« J’ai subi beaucoup de pré- jugés parce qu’on me di- sait que je pratiquais une discipline qui n’est pas faite pour une femme : « Tu vas être musclé, aucun homme ne va vouloir se marier avec toi, tu n’auras pas d’enfants… » Ces préjugés et ces moqueries qu’elle subissait à l’école car elle pratiquait le taekwondo, Aminata Makou Traore Sy en a fait une force. Elle est devenue ceinture noire 4ème dan de taekwondo, championne d’Afrique et vice-championne du monde francophone. Elle s’en est sortie grâce au sport et essaye de le transmettre aux jeunes maliens. Aujourd’hui à 31 ans, elle a mis un terme à sa carrière car elle ne pouvait pas concilier le sport et les études.
Faire bouger les lignes
« Je me suis dit qu’il y avait beaucoup de jeunes dans le même cas que moi alors j’ai tout fait pour arriver à un poste de responsabilités où je pourrais aider les sportifs à concilier les études et le sport », explique la taekwondoïste malienne. Elle a en tout cas rempli son objectif puisqu’en 2017 elle a fondé l’Association pour la Promotion de la Jeunesse et du Sport. Grâce à ses efforts et ses actions, elle est devenue la présidente de la commission genre et mixité au comité nationale et olympique du Mali en 2019. Aujourd’hui les temps ont changé, de- puis l’enfance de Aminata Makou Traore Sy, il y a eu des avancées notamment grâce au combat qu’elle mène avec ses associations. A travers son histoire et celles de championnes comme elles qui vivent toujours au Mali, qui ont pu travailler, se marier et avoir des enfants les préjugés des parents ont peu à peu disparus. Ils laissent désormais plus facilement leurs filles pratiquer le sport qu’elles souhaitent que ce soit un art martial ou non. Mais la société patriarcale malienne n’a pas disparu et le com- bat est loin d’être terminé, pour assurer une réelle égalité d’accès au sport des jeunes garçons et filles.
Certaines sportives ont été violées par leurs entraîneurs
Lors d’un séminaire sur le harcèlement en milieu sportif, organisé par le comité national olympique et sportif, plu- sieurs femmes sont venues témoigner. Elles ont expliqué pourquoi elles ont arrêté de pratiquer leur discipline sportive. La fondatrice de l’APJS raconte : « Elles subissaient le chantage de leurs entraîneurs, des femmes ont été obligées de céder et se sont retrouvées avec des enfants. Elles ont donc dû arrêter le sport. D’autres ont eu des traumatismes à cause de leur pratique sportive car elles engendraient des relations compliquées avec leurs familles et leurs proches. Certaines, et même récemment, ont été violées par des entraineurs ».
Pour éviter que ce fléau se perpétue, la championne de taekwondo et son équipe mettent en place un cadre pour que ces femmes victimes puissent en parler. Elles les aident également à porter plainte et trouver un avocat pour mener ces actions car « beaucoup de maliennes ne dénoncent pas ces pratiques abusives car elles ne sont pas assistées ».
« Nous avons même vu un Dogon et un Peul s’échanger leurs numéros et créer des affinités »
Avec l’APJS, Aminata Makou Traore Sy agit pour éduquer la jeunesse par le sport. « Le Mali peut être uni que si nous parvenons à poser des actions sportives dans les localités. La population pourra alors se réunir pour échanger, discuter et créer des liens d’amitié », assure l’ancienne championne de taekwondo. À travers des actions de sensibilisation, elle veut prouver aux instances locales et à la population que le sport est un vecteur de paix et de cohésion sociale.
Elle donne un exemple : « Nous avons pu organiser une activité entre les dogons et les peuls (deux groupes ethniques du centre du Mali qui se sont affrontés plu- sieurs fois causant des centaines de morts ces dernières années). C’était magnifique car personne ne pensait que ces deux peuples pouvaient se mettre en- semble pour faire une activité et le sport a pu faire cela. Partout où on passe on donne cet exemple entre deux groupes en conflits qui ont fait la paix le temps d’une activité sportive. Nous avons même vu un Dogon et un Peul s’échanger leurs numéros et créer des affinités ».
PEACEMAKERS PROJECT
Depuis trois ans, l’APJS travaille avec Peace and Sport dans le cadre du Forum International du Sport de Bamako. Plus récemment, l’ONG basée à Monaco s’est lancée dans un projet d’envergure international avec dix pays concernés : le Peacemakers Project. L’objectif de ce dernier est d’aider 10 organisations de terrains à mener à bien leurs actions de pacification par le sport. L’APJS fait partie du « Peacemakers Project » qui va l’aider à mener à bien ses projets au Mali. En clair, Peace and Sport et son partenaire My Coach vont former une vingtaine d’éducateurs maliens avec des programmes faciles à enseigner. Au total, ce sont plus de 300 enfants maliens, scolarisés et non scolarisés, qui vont en profiter à partir de décembre 2021, pendant un an.