Trophée Mousso : dans les coulisses d’une course auto « women only »

L’histoire n’est pas commune, et c’est ça qui nous plaît chez Women Sports Africa ! Elle est portée par la passion, la famille, les valeurs, la défense de la place des femmes dans le sport, la culture sénégalaise… Et cette histoire a démarré il y a bientôt 20 ans, au coeur de Dakar, et a subi quelques évolutions et métamorphoses…

Par Léa Borie
Extrait du magazine WOMEN SPORTS AFRICA N°2

Trophée Mousso, l’origine Le Trophée Mousso, c’est en fait une saga en deux temps. La première édition a vu le jour en 2002. Elle était portée par Maodo Guirandou, lui-même journaliste sportif qui couvrait le Rallye Dakar et s’était surpris de la présence d’un seul et unique équipage féminin. « Mousso » signifie femme en mandingue (langue bambara).

Comme son nom l’indique, cette course est donc uniquement féminine. Durant les six premières éditions, la compétition dakaroise se déroulait sur deux jours au coeur de la capitale sénégalaise. Son objectif de départ : vulgariser les sports mécaniques pour ouvrir cette pratique traditionnellement masculine aux femmes.

La renaissance du Trophée Mousso

Faute de financements et de sponsors, l’organisateur se voit contraint de suspendre le Trophée Mousso, en 2007. Treize ans se passent avant que la compétition ne reparte de plus belle. Pour la relance en 2020, il a été décidé de concentrer les manches sur une journée, autour de l’épreuve de gymkhana (un parcours de slaloms et d’obstacles). Rendez-vous était donné sur l’espace d’origine : l’esplanade du Stade Léopold Sédar Senghor, dans un quartier populaire de Dakar.

Derrière cette organisation désormais, une femme, Célia Cissé, qui n’est autre que la fille d’Awa Dione, qu’on ne présente plus sur les circuits. Un challenge porté par l’ASCOM (association sénégalaise des commissaires et officiels des sports mécaniques) et l’agence de communication Tandem, dont Célia Cissé est justement la directrice.

L’édition 2020, le grand retour du Trophée Mousso

Une date phare 8 mars. C’est le 8 mars 2020 qu’a eu lieu la dernière édition du Trophée Mousso. Un jour qui n’a évidemment pas été choisi au hasard, puisque c’est la journée internationale des droits des femmes.

Lors du coup d’envoi, le ministre des Sports, Matar Ba, était présent. Cette journée a aussi été l’occasion de démonstrations de karting, pour montrer le panel des sports mécaniques. Les actions de la FAADEV (Femmes africaines actives pour le développement) ont pu être valorisées, et notamment le projet d’aide aux gestes de premiers secours en milieu rural.

La passion automobile : une belle histoire de famille

La nouvelle organisation du Trophée Mousso, une histoire mère-fille fusionnelle. Des souvenirs de fillette, qui aujourd’hui sont des moments de partage. « Ma mère est passionnée, nous raconte Célia Cissé. Elle me fatigue le dimanche quand elle regarde la Formule 1 (Rire). C’était pour moi un vrai pas vers elle que de partager sa passion des courses auto, moi qui suis animée par la boxe. Cela a rendu encore un peu plus forte notre relation. »

Comment participer à la course du Trophée Mousso

Les prérequis pour participer à la course (amatrice ou professionnelles), jauge limitée à 24 participantes, les premières inscrites sont les premières servies :

Le défi majeur : l’équipement pour participer à la course

Pour que ce trophée soit à la hauteur de ses valeurs de sport automobile accessible, ses organisateurs défendent l’intérêt de fournir aux participantes un équipement complet nécessaire à la course.

En effet, le Trophée Mousso fournit les voitures préparées avec des arceaux, un siège baquet, un harnais. Même le casque est fourni. Le repas et l’assurance sont aussi pris en charge.

Or, c’était le point noir des éditions passées. Maodo racontait, en interview TV pour l’émission Sport 2S, le 2 mars 2020, ses difficultés à fournir des voitures à l’époque : « En cherchant à louer des voitures pour la course, on nous demandait pour quelle raison. On a répondu ‘‘pour les prêter à des femmes pour faire des courses automobiles’’. Les gens nous ont pris pour des fous !» Ce qui en dit long sur la considération des femmes conductrices au Sénégal. De plus, avoir ses propres voitures, c’est aussi un gage de pérennité dans le temps pour le Trophée Mousso.

Entretien avec Célia Cissé

« Défendre la place de la femme dans ce sport, dans les sports au Sénégal »

Célia est née et a grandi au Sénégal. Après des études en France et en Chine, elle revient au pays, bien décidée à faire bouger les choses. Aujourd’hui membre de la FSAM (Fédération sénégalaise de sport automobile et motocycliste), la jeune femme de 33 ans porte l’une des rares compétitions automobiles d’Afrique de l’Ouest.

Women Sports Africa : vous qui observiez votre maman sur les circuits plus jeune, qu’est-ce que vous éprouvez aujourd’hui ?

Célia Cissé : En prenant le relais, je me devais d’assurer. Il y a une chose qui ne change pas, c’est la fierté. La mienne, celle de ma mère, celle de toutes les femmes qui participent. Qui viennent vivre une journée pleine de convivialité avec leurs enfants. On a accueilli 23 participantes, des Sénégalaises, mais aussi des femmes de nationalités française, libanaise et cap-verdienne.

Qu’est-ce que venaient chercher ces femmes au Trophée Mousso ?

Ma mère Awa Dione et Abibatou Fall voulaient revivre l’émotion de l’époque lors des premières éditions du Trophée Mousso. D’autres cherchaient l’adrénaline, la passion de la conduite, ou encore la simple curiosité. Sur cette épreuve d’obstacles du gymkhana, on est plus en sécurité qu’une course en ligne droite qui demande de gérer les freinages.

Pari tenu pour le combat des femmes, de leur place dans ce sport ?

Oui ! Nous les femmes, avec nos petits moyens du bord, on n’a pas de Porsche, mais on est tout aussi capables que les hommes d’être sur un circuit.

D’ailleurs, il ne faut pas une grande force pour piloter. Juste de l’adresse, de la concentration, des réflexes, de l’endurance, et l’amour de la vitesse. C’est un sport où hommes et femmes peuvent être à égalité ! Preuve en est Sophia Samba Azar, qui, contrairement aux hommes qui ont tendance à se précipiter, se positionne. D’ailleurs, dans les courses, les deux sexes concourent dans la même catégorie.

Les femmes manquent vraiment de mise en valeur au Sénégal en la matière selon vous ?

J’aimerais qu’on entende plus d’Hortense Diedhiou, judokate, et d’Amy Mbacké Thiam, athlète ! On encense les footballeurs mais il y a pourtant tant de sports à promouvoir : lutte, rugby, basket, arts martiaux… et de parcours sportifs à valoriser. C’est aussi à nous, professionnels de la communication, de faire ce travail. Car le sport permet de réveiller le leadership des femmes.

Et justement, vos auto-promos pour la suite ?

On a pu maintenir l’édition 2020 malgré la covid-19, mais notre compétition de novembre dernier a été annulée. Nous espérons pouvoir reprendre la programmation sans encombre. Les Sénégalais sont à la recherche d’initiatives de ce type, et nous, ça nous a donné plein d’idées !

Interview Flash d’Awa Dione

Pilote de 66 ans, vice-présidente de la Fédération sénégalaise d’auto-moto, mère de Célia Cissé, doyenne de la compétition en 2020, l’une des premières Sénégalaises à rouler.

D’où vous est venu ce goût pour les sports mécaniques ?

Je suis née à Nevers, en France. J’ai grandi à côté du Circuit de Nevers Magny- Cours, bercée par le bruit des moteurs. Mais on n’avait pas les moyens de m’inscrire à un sport mécanique. Installée au Sénégal à mes 25 ans, j’ai trouvé des cours, j’ai même participé à des courses informelles aux côtés des hommes. Le Trophée Mousso m’a confortée dans mon envie de poursuivre. Et un circuit a été construit ici, où j’ai pu tourner avec quelques filles.

Des femmes sur les circuits, il y en a davantage aujourd’hui ?

La course automobile n’est pas dans la culture sénégalaise. Ce n’est pas comme en Europe. C’est réservé à une élite. Alors c’est encore plus compliqué lorsque vous êtes une femme, vous devez affronter les regards. Il vous faut gagner la confiance. Mais c’est quelque chose que vous vivez déjà au quotidien, dans la circulation. Dès que je dépasse des hommes en voiture en ville, ils ne le supportent pas. Il faut faire évoluer les mentalités. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à conduire des voitures, à faire des courses auto. Donc si hier c’était une nouveauté, aujourd’hui, les gens commencent à s’habituer, et certains trouvent ça amusant, et c’est plutôt bienveillant.

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