Pas assez femmes aux yeux des instances sportives ; les combats de Christine Mboma et Barbra Banda face à la testostérone

Photo Shutterstock.

Les nouvelles règles des fédérations internationales sur les niveaux de testostérone continuent de susciter des controverses dans le sport féminin. Aujourd’hui, focus sur deux athlètes, Christine Mboma et Barbra Banda, qui se retrouvent au centre de la discussion. Entre maladie, différences de développement sexuel (DSD) ou hyperandrogénie, problèmes financiers et avenir incertain… Focus sur deux cas qui soulignent les difficultés auxquelles certaines femmes sont confrontées. PAR RUBEN DIAS. Extrait du Women Sports Africa N°8.

Christine Mboma – Namibie. Photo by Icon Sport

Le sport, un monde d’inclusion ? Ou pas. Christine Mboma, vice-championne olympique du 200 mètres, est actuellement confrontée à un dilemme bien complexe. Celui de l’équilibre hormonal. À seulement 20 ans, cette athlète namibienne, dotée d’une exceptionnelle puissance athlétique, doit maintenant suivre un traitement hormonal pour réduire son niveau naturel de testostérone. Son corps produit naturellement cette hormone en grande quantité, un peu comme une certaine Caster Semenya, d’ailleurs. Mais désormais les nouvelles règles de World Athletics lui empêchent certaines courses.

Un point sur le règlement

Les restrictions imposées par l’instance exigent que le niveau de testostérone des athlètes féminines reste en dessous de 2,5 nanomoles par litre de sang. Mboma, aux prises avec un développement sexuel différent (DSD) ou hyperandrogénie, cherche à s’adapter à ces règles en suivant des traitements aux œstrogènes. Cette décision n’est pas sans sacrifice, car ces traitements peuvent entraîner des effets secondaires indésirables. On y reviendra.

D’ailleurs, le règlement de World Athletics exige une période de maintien des nouveaux niveaux hormonaux pendant au moins six mois avant de pouvoir, par exemple pour Mboma, concourir à nouveau sur 200 mètres.

Prédestinée au 400 et 800 m

Spécialisée dans les courses de 400 et 800 mètres, Mboma a été confrontée à des défis majeurs après les tests effectués par World Athletics lors de son camp d’entraînement en Italie. Les résultats ont empêché Mboma et sa compatriote Beatrice Masilingi de participer aux distances pour lesquelles elles étaient spécialistes lors des Jeux Olympiques de Tokyo. Contrainte de s’orienter vers le 200 mètres, Mboma a tout de même remporté la médaille d’argent. Un bel accomplissement qui a pourtant marqué le début du dilemme complexe pour que la jeune femme s’adapte aux nouvelles règles.

Les cas s’enchaînent

Le cas de Christine Mboma est loin d’être isolé. Évidemment, tout le monde aura en tête celui de Caster Semenya, mais elles sont nombreuses les athlètes à faire face au même problème. Francine Niyonsaba, Margaret Wambui, et Aminatou Seyni, également atteintes d’hyperandrogénie, se retrouvent aussi sur la touche. La réduction de la limite maximale de testostérone à 2,5 nanomoles par litre a créé une série d’obstacles pour ces athlètes, les obligeant à reconsidérer leurs dis- tances et à se conformer aux nouvelles règles de manière contraignante. Mais l’athlétisme n’est pas la seule discipline dans laquelle les femmes se retrouvent face à un tel problème.

Barbra Banda, pas assez femme ?

Barbra Banda (Zambia) (Credit Image: © Kim Price/Cal Sport Media/Sipa USA/Icon Sport)

Parce que oui, le football féminin fait également face à des défis similaires. Telle la Zambienne Barbra Banda, confrontée à des jugements sur sa féminité par la FIFA, qui stipulait en 2022 que « les hormones androgènes ont des effets améliorant la performance » et que « la vérification du genre revêt donc une importance parti- culière ». Cependant, aucun seuil de testostérone n’est précisé contrairement à World Athletics. Heureusement, la star zambienne du football féminin a obtenu l’autorisation de la FIFA pour disputer la dernière Coupe du monde en 2023. « Nous sommes impatients de l’accueillir en Australie et en Nouvelle-Zélande pour la participation de sa sélection à ce Mondial », avait même annoncé Sarai Bareman, directrice du football féminin à la BBC. Barbra Banda n’a d’ailleurs pas tardé à entrer dans l’histoire de la compétition. Alors que la Zambie a signé la première victoire de son histoire en Coupe du Monde Féminine face au Costa Rica 1-3, elle a marqué le 1 000e but de l’histoire de la plus grande des compétitions.

Avec cette affaire, l’instance a donc décidé de revoir ses tests d’éligibilité au sexe, « la FIFA travaille actuellement sur ses règles d’éligibilité en matière de genre. Nous sommes actuellement dans un processus de consultation », a expliqué Sarai Bareman ajoutant qu’il s’agit d’un « sujet très complexe » et qu’« il y a beaucoup d’avis divergents sur la question de modifier ces tests ou non. En tant que représentant de la FIFA, notre rôle est de prendre en considération tous ces points de vue et aussi tout ce qui concerne la recherche, la science, les preuves, les situations individuelles et aussi les droits de l’homme. C’est une décision importante qui aura un énorme impact. »

Pour l’instant, la CAN ne bouge pas

Son de cloche différent sur le continent africain. Quelques jours avant le début de la dernière CAN féminine, en 2022, la Fédération zambienne de football avait annoncé l’exclusion de Barbra Banda. La raison ? Des résultats invalides lors du test ADN du sexe réalisé par la CAF. Considérée, à 23 ans, comme l’un des plus grands espoirs de la Zambie, l’attaquante était devenue, lors des Jeux olympiques de Tokyo, la première joueuse à réaliser deux triplés d’affilée face aux Pays-Bas et la Chine dans la compétition.

La Confédération africaine de football, qui organise donc la Coupe des Nations, ne semble pas vraiment vouloir bouger pour l’heure. Bannie de la CAN 2022, Barbara pourrait également voir sa participation à l’édition 2024 annulée.

Des sacrifices au nom de la conformité

Devant ces contraintes, les possibilités pour les athlètes ne sont pas bien nombreuses. Contrairement à Caster Semenya, qui a contesté les règles de World Athletics en justice, Mboma a choisi de ne pas suivre cette voie. Et les raisons invoquées par son entraîneur, Henk Botha, sont claires : ils estiment ne pas disposer des ressources financières nécessaires pour entamer des procédures judiciaires coûteuses, et ils préfèrent suivre les règles pour éviter de perturber le processus.

Cependant, tout cela a un prix. Et même s’il n’est pas financier, il pourrait coûter cher à la jeune namibienne. Les traitements hormonaux auxquels Mboma doit se soumettre ne sont pas sans risques. Caster Semenya, qui a également suivi un traitement similaire par le passé, a signalé des effets secondaires tels qu’une sensation de maladie, une prise de poids et des crises de panique. Les conséquences à long terme de ces traitements sur la santé des athlètes restent un sujet de préoccupation au sein de certaines ONG et associations.

« Je ne vais pas laisser la FIA m’empêcher d’être qui je suis »

Depuis presque 15 ans, les athlètes et la Fédération internationale d’athlétisme (FIA) se battent à ce sujet. Et la hache est loin d’être enterrée. Nous n’en avons que peu parlé ici, mais Caster Semenya en est le parfait exemple. Contrainte à de nombreuses reprises de«prendre un traitement pour rééquilibrer son taux d’hormones mâles, pour participer aux épreuves officielles » sur sa distance fétiche, la Sud-Africaine a décidé de dire stop. « Je refuse de laisser World Athletics me droguer ou m’empêcher d’être qui je suis », a réagi l’athlète dans un communiqué.

La ministre sud-africaine des Sports, Tokozile Xasa, avait soutenu la plainte déposée par la championne. « Ce qui est en jeu ici n’est rien moins que le droit de chacun à faire du sport, selon elle. Le corps des femmes, leur bien-être, leur capacité à gagner leur vie, leur vie privée, leur sentiment d’appartenir au monde est remis en question », se questionne la femme politique.

« Son don génétique devrait être célébré, et non faire l’objet de discrimination. Comment se fait-il qu’une athlète féminine, dont on dit qu’elle a des niveaux élevés de testostérone, doit rivaliser avec les hommes, alors qu’un homme, dont les niveaux de testostérones et d’oestrogènes sont plus faibles, n’a pas le droit de rivaliser avec les femmes ? Où est la parité ? », s’est interrogé le directeur des sports du gouvernement sud-africain Mokoditloa Eliakim Moemi. Et dans les faits, interdit-on à un basketteur d’être trop grand pour jouer au basketball, alors que c’est dans ses gènes… La réponse est clairement non. « Pour les droits humains des femmes athlètes, sur la piste et en de- hors, jusqu’à ce que nous puissions courir aussi libres que nous sommes nées », conclut Caster Semenya.

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