Ndéye Aïssatou Mbaye est l’auteure du blog Aistou Cuisine, qu’elle anime avec passion depuis 2015. Sénégalaise, la cuisinière en herbe est venue habiter en France en 2009. Depuis elle a édité un livre de recettes inspirées de sa culture et ouvert un café au Sénégal avec sa maman et son équipe sur place. Aïssatou nous parle de sa culture culinaire.
Par Léa Borie – Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.16 d’avril-mai-juin 2020 (dossier spécial sport en Afrique)
Le credo culinaire d’Aïssatou Mbaye
«Je trouvais que les cuisines africaines (je n’aime pas dire LA cuisine africaine, on a 54 pays et autant de cultures différentes!) n’étaient pas bien représentées hors d’Afrique. J’ai réalisé qu’il y a énormément d’aliments intéressants et de plats qui sont méconnus lorsqu’on quitte le continent, ou qui sont délaissés dans nos cuisines modernes. Il n’y a pas que le yassa (« frire » en Créole, un plat sénégalais à base d’oignons frits et de riz, auquel on ajoute souvent du poulet, ndlr) et le maffé (sauce à base de pâte d’arachide originaire du Mali, que l’on consomme dans toute une partie de l’Afrique subsaharienne, ndlr) ! Par exemple, on associe souvent le couscous au Maghreb, mais cela fait aussi partie du patrimoine sénégalais. On remplace le blé par le mil, qu’on réduit en farine et qu’on roule pour former de la semoule. Si le mil (ou millet perlé, ndlr) est la première céréale d’Afrique, on fait aussi du couscous à base de fonio, de maïs, de manioc et même de patate douce ! »
Lutter contre les préjugés
« J’ai eu envie de casser les préjugés. On entend souvent que les cuisines africaines seraient trop épicées, trop lourdes, trop grasses… C’est la cuisine moderne, plus rapide, qui nous a fait nous tourner vers des plats frits. Mais il faut regarder comment cuisinaient nos grand-mères, avec des bouillons qui mijotaient des heures. Retournons aux sources. Et délaissons le chimique et l’industriel ! »
Cuisines grasses et autres, c’est une question de point de vue…
« La plupart d’entre nous, quand on arrive en Europe, souffrons de ballonnements car la nourriture est très riche en gluten. Notre organisme n’est pas habitué, on consomme davantage de riz et de céréales. »
Retour aux sources africaines
« Dans les régions reculées, c’est moins le cas, mais dans la capitale sénégalaise, on cuisine davantage avec des céréales importées, au point de retrouver des céréales et des légumineuses oubliées. Parce que oui, dans le sans gluten, il n’y a pas que le quinoa qui existe ! Notre continent est riche en « alicaments ». C’est très en vogue en ce moment de réduire sa consommation de médicament et de se tourner vers les plantes, mais en Afrique, pour nous c’est naturel.»
Faire vivre le patrimoine localement
En plus de partager sa culture en France, Aïssatou continue d’être profondément investie dans son pays d’origine. En décembre 2019, elle a ouvert un café-restaurant à Dakar. La concrétisation d’un rêve d’enfant. Si elle pilote, c’est sa maman, son associée tout aussi passionnée de cuisine, sur place, qui gère les opérations. Gâteaux et cakes aux farines africaines pour mettre en avant les recettes de son livre, infusions sénégalaises… Retrouvez cette adresse ode à la tradition, Kéliba Café : Hann Maristes 2, à Dakar.
Trésors subsahariens : 5 pépites du patrimoine africain expliquées par Aïssatou
- Le fonio : Décidément, on en entend parler partout ! « Cette graine ancienne d’Afrique noire saine et digeste, rappelant le quinoa, est idéale pour la digestion. Son principe : elle continue de gonfler dans le ventre, du fait, elle rassasie facilement. » (Dans son livre « Saveur Subsaharienne, Trésors et recettes d’Afrique de l’Ouest« , on retrouve des recettes de galettes de fonio avec du poisson, une poêlée de fonio, un gâteau de fonio proche du gâteau de semoule, ou encore un fonio au lait de coco et mangue apparenté à du porridge.)
- Le niébé : Le haricot magique de l’Afrique ! Appelé aussi haricot à l’œil noir, haricot cornille, ou encore pois à vache, «le niébé est riche en protéines. D’une grande qualité nutritionnelle, c’est un des aliments clés pour remplacer la viande. Ce qui explique pourquoi on le retrouve dans de nombreux plats végétariens. » C’est aussi une des plus vieilles plantes d’Afrique de l’Ouest !
- Le kinkéliba : cette plante sauvage est originaire de l’Afrique de l’Ouest. Cette « tisane de la longue vie », est décrite comme la boisson remède par excellence. « On parle d’arbre médicament ou arbre de longue vie: en consommant ce thé tous les matins au petit-déjeuner, on peut espérer une longue vie en bonne santé. »
- Le moringa (ou nebeday : « Ne meurs jamais ») : cette plante est venue d’Inde mais on la retrouve beaucoup en Afrique de l’Ouest. Elle est vendue sous forme de poudre, de gélules, de tisane ou encore en vrac avec les feuilles séchées entières. Dans les feuilles, partie la plus nutritive, il contient deux fois plus de protéines et de calcium que le lait. « On peut comparer ses feuilles à celles des épinards. On l’intègre dans des plats en sauce, dans le couscous… Il s’en fait même de l’huile, qui, au même titre que l’huile d’olive, est riche en oligoélément. »
- Le bissap (on observe différents noms selon les pays : dableni (Mali, Côte d’Ivoire, ou Burkina), karakandji (Centrafrique), zobo (Nigéria), Ngai Ngai (Congo)…) : « Qu’on ne présente plus ! Il faut dire que le jus de bissap est reconnu pour ses vertus nutritives et thérapeutiques : riche en vitamine C, antioxydant, on lui reconnait également des propriétés antalgiques, anti-inflammatoires, et énergétiques. »
Remerciements
Aïssatou Mbaye, auteur du blog Aistou Cuisine, Le monde aux saveurs d’Afrique et de l’ouvrage Saveurs Subsaharienne Trésors et recettes d’Afrique de l’Ouest, paru en 2018.