Après avoir brillé sur la scène internationale avec le Cameroun, Sarah Hanffou a rangé la raquette après Paris 2024, les 3es JO de sa carrière. Championne d’Afrique en 2010, elle se concentre désormais sur sa carrière d’avocate tout en continuant de développer son association créée en 2006, Ping Sans Frontières. Portrait d’une championne inspirante. PAR THOMAS SALIS. Extrait du WOMEN SPORTS AFRICA N°11.
Pongiste professionnelle, avo- cate et présidente d’une association humanitaire… Sarah Hanffou a plusieurs vies. Passionnée de Tennis de Table depuis sa tendre enfance, cette franco-camerounaise a fait trembler les salles pendant 30 ans avec son coup droit et son service rentrant. « J’ai toujours été une at- taquante. Un très bon service avec un gros coup droit et surtout une grosse détermination. Je ne lâche rien et ça m’a aidé dans plusieurs compétitions. J’aime me battre jusqu’au bout, jusqu’au dernier point. Au Cameroun, on appelle ça le M’mley et c’est certainement le mot qui me définit le mieux », assure Sarah Hanffou.
Le Tennis Table, elle est tombée dedans très jeune. Après avoir commencé à 8 ans, à 12 ans, elle était déjà sélectionnée en équipe de France. « Tout s’est enchaîné rapidement », reconnaît-elle. « C’est en intégrant l’INSEP que j’ai compris que je pouvais faire quelque chose dans ce sport ». Jusqu’à ses 21 ans, elle porte les couleurs des Bleues, mais elle décide de prendre un virage important. Née à Roubaix d’une mère française et d’un père camerounais, Sarah Hanffou décide de changer de nationalité sportive. « J’avais besoin de mieux comprendre d’où je venais, mon identité. J’avais la grosse volonté de mieux connaître le pays de mon père », raconte-t-elle avec nostalgie.
Couronnée au Cameroun, la consécration ultime
Et c’est là que tout s’accélère dans sa vie. Sarah Hanffou va remporter le plus beau titre de sa carrière en 2010, celui de Championne d’Afrique. Une consécration folle… au Cameroun. « C’est mon plus grand exploit sportif », se remémore-t-elle. « C’est sans aucun doute le plus beau moment de ma carrière. C’était la première année que je jouais sous les couleurs du Cameroun et c’était à domicile. Toute ma famille était là. En termes d’émotions, c’était exceptionnel ». Le contexte de la rencontre permet aussi à Sarah d’écrire un peu plus sa légende. « Ce match-là, j’étais menée 3 à 1. Mais quelquefois, vous avez la sensation que vous allez gagner même quand ça ne se passe pas bien et c’est assez difficile à expliquer. Je suis rentrée dans une certaine euphorie, et j’ai réussi à renverser le match. Un moment magique, j’étais vraiment fière », explique-t-elle.
Un titre que la Camerounaise ne gagnera plus jamais par la suite. Sarah Hanffou évoluait dans les ligues professionnelles en France et en 2010, elle était à son prime. Compétitions régulières, entraînements tous les jours… Elle était conditionnée à être au top de sa forme. Lors des Championnats d’Afrique suivants, la Nordiste ne réalisera pas deux fois le même exploit. Les Égyptiennes lui auront donné du fil à retordre et sa carrière professionnelle lui posait des contraintes.
Championne et avocate au barreau de Toulon
Car oui, en plus d’envoyer des coups droits à Alexis Lebrun, Sarah devait continuer ses études pour poursuivre son rêve, celui de devenir avocate. « Je n’ai jamais hésité une seconde à prendre cette voie. Depuis l’adolescence, j’ai toujours su que je voulais être avocate. Ce n’est pas forcément seulement pour lutter contre l’injustice, c’est également un intérêt intellectuel. Les choses complexes, cela m’a toujours passionné. J’aime me sentir utile », s’amuse-t-elle.
En même temps que ses études et un pas- sage à l’armée, Sarah ne lâche pas le Tennis de Table. Si aujourd’hui cela fait 6 ans qu’elle exerce au barreau de Toulon, la star du ping africain a participé à 3 Jeux Olympiques. Des moments inoubliables. « Les premiers, c’est toujours particulier parce que j’étais un peu émerveillée, je découvrais tout », se rappelle-t-elle avec émotion. Ses seconds Jeux Olympiques, à Tokyo en 2021, n’auront pas la même saveur et resteront un souvenir mitigé.
« Avec le confinement, c’était vraiment triste. En plus, j’étais encore en rééducation en raison d’une blessure au poignet ». Cependant, avec son abnégation et son M’mley légendaire, Sarah s’accroche. « Je voulais absolument les faire… J’ai donc un peu subi la compétition au Japon », regrette-t-elle. Après Tokyo, Sarah pensait tirer sa révérence… Cependant, son entourage lui a fait changer d’avis. « Sarah, dans 3 ans il y a Paris ! Ça serait dingue », ont soufflé sa famille et ses proches. La championne s’est donc lancée dans la course aux Jeux Olympiques 2024, une aventure qui fut difficile mais riche en émotions.
Paris 2024, le dernier rendez- vous d’une belle carrière
« C’était extrêmement dur », s’amuse aujourd’hui Sarah Hanffou. « Les qualifications ont été très difficiles. J’ai un cabinet à faire tourner et la préparation n’était donc pas optimale ». Sa qualification pour Paris 2024, elle est allée la chercher au Rwanda. Son en- traîneur en garde un souvenir impérissable. « Sa finale, c’était vraiment surréaliste. C’est sans aucun doute le moment le plus fort que j’ai vécu avec Sarah », s’est remémoré Navish Panday. Opposée face à la Nigériane, Faima Bello, la Camerounaise s’est battue comme une lionne pour s’imposer 4 sets à 2. Kigali restera donc un moment très fort… « La qualification de Sarah pour Paris 2024 a été quelque chose de très spécial pour nous deux et restera l’un des moments les plus mémorables de notre vie », se rappelle le Sud-africain.
Gérer sa carrière sportive et professionnelle a certainement été l’épreuve la plus difficile pour Sarah dans la course aux JO 2024. Des sacrifices, la star du ping africain en a fait beaucoup. « Choisir, c’est renoncer. Je n’ai jamais pris de vacances ou que très peu. Des moments limités avec la famille, c’est ça le plus dur. Une organisation, une discipline militaire… C’est la mentalité à avoir pour réussir. Mes proches m’ont beaucoup aidé et j’ai toujours su m’entourer au mieux. Préparation mentale et physique, accompagnement de médecins… J’ai tout fait pour tenter d’optimiser mes performances », confie Sarah Hanffou. Un choix payant qui lui aura permis de participer à ses 3e Jeux Olympiques. 20 ans au plus haut niveau, ce n’est pas anodin pour son coach sud-africain. « Ce type de longévité et de constance au plus haut niveau, c’est l’une des caractéristiques d’une athlète d’élite », assure-t-il.
Sarah Hanffou était donc prête à disputer ses derniers JO, à Paris, dans le pays où elle a grandi. C’était l’occasion pour elle de terminer la boucle et de disputer le dernier tournoi de sa carrière. « J’ai 38 ans, j’ai commencé le ping à 8 ans… 30 ans de ping-pong, c’est pas mal non ? Le haut niveau et tout ce que ça inflige au corps, c’est un élément important dans ma décision. Concilier vie pro, vie privée et Tennis de Table, c’était compliqué… Je crois qu’il faut savoir aussi partir au bon moment. Il y a des nouvelles générations qui arrivent, je ne voulais pas être l’ancienne qui s’accroche et qui bloque et décourage les jeunes » explique Sarah Hanffou. « Avant la compétition, j’ai donc annoncé que ce serait ma dernière ».
Pour ces Jeux Olympiques, la Camerounaise débute sa compétition contre Chelsea Edghill, une Guyanaise. Après une belle bataille, elle s’impose 4 sets à 1 et décroche donc son billet pour les 32es de finale. Après sa victoire, Sarah Hanffou est aux anges. En zone mixte, elle savoure. « Quel bonheur et quelle fierté de représenter le pays », avait lancé la Camerounaise. Au tour suivant, Sarah ne fera pas l’exploit et s’inclinera contre une habituée du top 10 mondial, la Taïwanaise, Cheng I-ching. C’est donc à ce moment précis que Sarah s’est retirée, un souvenir forcément fort. « L’expérience de Paris a été incroyable. Cela a été les meilleurs jeux parce que finir ma carrière à Paris, devant ma famille, mes proches et les pongistes que je connais de- puis petite… Je ne pouvais pas rêver mieux. Ces JO à Paris, c’était fantastique », assure- t-elle.
Ping Sans Frontières, le projet d’une vie
Cependant, si un chapitre s’est fermé le 29 juillet 2024, son histoire avec le Tennis de Table est loin d’être terminée. En 2006, en pleine carrière, Sarah décide de lancer une association humanitaire nommée Ping Sans Frontières. « J’ai fait les Jeux de la francophonie à Niamey lorsque j’étais en- core avec l’Équipe de France. Et là j’ai pris mes privilèges en pleine tête. Quand j’ai vu les conditions dans lesquelles le tennis de table était pratiqué, je me suis qu’à mon niveau, il y avait quelque chose à faire. J’ai commencé par arrêter de jeter les équipe- ments neufs que je recevais de mes spon- sors. J’ai encouragé les gens autour de moi à faire de même et tout collecter. C’est parti comme ça », raconte-t-elle.
Depuis presque 20 ans maintenant, Sarah réalise des opérations aux quatre coins de la planète avec son association. Présente principalement sur le continent africain, Ping Sans Frontières est un facteur important du développement du tennis de table. Collecte et envoi de matériels, création de tables arti- sanales… Sarah Hanffou se bat pour que le tennis de table devienne un support éducatif à travers le monde. « Lorsqu’elle fait des choses, elle les fait toujours à fond. Elle est déterminée pour aider les autres », explique Laurent, son plus fidèle associé de Ping Sans Frontières.
Gérer une association ce n’est jamais facile, mais Sarah sait puiser dans son expérience de pongiste et sportive de haut niveau pour arriver à ses fins. « Elle a une certaine aura, une envergure, et ça s’est très important pour gérer Ping Sans Frontières. Elle a de la personnalité et ça se voit. Elle trouve tou- jours les mots justes pour convaincre nos partenaires », dévoile Laurent. Partout en France, des clubs se mobilisent pour envoyer du matériel. Tous les ans, ce n’est pas moins d’une tonne de matériel qui est collectée… « Son engagement, c’est fantastique… », raconte Navish Panday, le coach de Sarah, qui collabore aussi avec Ping Sans Frontières en Afrique du Sud. « C’est une légende, une superstar de notre sport », assure-t-il. Le portrait de cette championne est saisissant et ça, c’est le moins que l’on puisse dire !
Ping Sans Frontières : le moteur du tennis de table en Afrique par Sarah Hanffou
Développer un sport de salle en Afrique, c’est le challenge que s’est donné Sarah Hanffou depuis 2006. Son mo- dèle de tables artisa- nales, la création d’une salle spécifique au Sé- négal… La championne nous en dit plus sur son association et sur ses projets ambitieux pour développer le tennis de table en tant que sup- port éducatif.
Ping Sans Frontières, ça donne quoi depuis 2006 ?
Tout est parti avec de la collecte de matériel. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, on est intervenu dans plus de 16 pays, principalement en Afrique pour faire des formations pour les entraîneurs locaux, des training camps et aussi de la construction de table artisanale. On a aussi un partenariat avec la Fédération française de tennis de table et Cornilleau. On a plus de 400 urnes de collecte qui sont dans les clubs français. On collecte des bois, les revêtements. On refait des raquettes à partir de ça et on redistribue en France et à l’étranger pour des per- sonnes prioritaires, en situation de handicap, ou des personnes économiquement défavorisées. Et puis depuis l’année dernière, on a aussi créé un club qui se dit inclusif. Il y a de la mixité dans tous les sens, chaque équipe se voit attribuer des missions solidaires.
Quelle est la situation du tennis de table en Afrique ?
Le tennis de table est bien développé en Égypte et au Nigéria. Ce sont deux pays développés avec de très bons entraîneurs et ça se voit après lors des compétitions internationales. Le reste, c’est difficile. Il y a très peu de financement du tennis de table, comme dans le sport de base. Donc il y a des problèmes de matériels et de compétences. Si on veut que le tennis de table se développe en Afrique, il faut for- mer des entraîneurs pour qu’ils puissent transmettre aux jeunes. C’était un déchirement d’arrêter de jouer car, après moi, au Cameroun, il n’y a rien chez les féminines. J’ai fait 15 ans d’équipe nationale et il n’y a aucun programme de développement national pour les filles. Sur les dernières compétitions internationales, je me déplaçais toute seule. Je n’ai jamais eu une partenaire de double féminine en 15 ans. Je trouve ça dramatique et ce sont des situations qu’on retrouve dans de nombreux pays.
La construction de table, c’est l’une des actions fortes de Ping Sans Frontières. Comment vous est venue cette idée ?
À force de faire des missions sur le continent. Je me suis dit, « ok, c’est cool, tu ramènes des équipements sportifs, des balles, des raquettes… mais ça coûte extrêmement cher. Personne n’a les moyens de le faire. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Et c’est là que l’idée m’est venue de construire des tables. En Afrique, il y a du bois, donc je me suis dit qu’il y avait quelque chose à creuser. Pendant 8 mois, j’ai travaillé sur la création d’un social business autour des tables. Avec plusieurs modèles, on a fait plusieurs séances de formation
auprès de menuisiers dans plu- sieurs pays comme le Burundi, la Côte d’Ivoire, le Ghana… Aujourd’hui, ça marche, et c’est une bonne méthode pour pro- mouvoir le tennis de table en Afrique. Ça génère une écono- mie locale, c’est vertueux et ça développe le ping. Ça n’avait aucun sens de faire venir par conteneurs des centaines de tables. Une construction d’une table coûte en moyenne 80 et 150 €, alors qu’une table importée c’est 1 200 €.
Développer un sport de salle en Afrique, c’est quelque chose qui ne doit pas être évident. Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face ?
Le tennis de table, ce n’est pas comme le football. Il suffit d’un ballon, et on peut jouer dehors. Là, il faut des tables. Donc, avec Ping Sans Frontières, on a trouvé des solutions avec les tables artisanales et l’importation de raquettes. Jouer dehors c’est compliqué, donc c’est un vrai obstacle. Le challenge, c’est trouver des endroits où la pratique est possible ou construire des salles spécifiques. On est en train de le faire à Zinchachor au Sénégal.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet à Ziguinchor, au Sénégal ?
Le Sénégal, c’est notre plus gros projet. On travaille en coopération avec la ville de Ziguinchor et celle d’Évreux en France. On fait des formations d’entraîneur, on construit des tables artisanales. On fait la formation de professeurs d’EPS pour que le tennis de table soit intégré dans le programme scolaire au Sénégal.
Comment est accueilli Ping Sans Frontières par les locaux ?
On est très bien accueilli. Dans l’ADN de Ping Sans Frontières, on ne considère pas qu’on sait tout. Dans un premier temps, on fait l’état des lieux et après on explique ce que l’on peut apporter. Quels sont vos besoins, comment ça fonctionne. Et on va travailler ensemble. Tous les pays où on intervient, c’est parce qu’on a des contacts sur place qui ont fait état de leurs besoins.
En quoi le tennis de table est important pour l’éducation des enfants ?
Le sport en général, c’est essentiel pour les enfants. Concernant le Tennis de Table, c’est une activité très impor- tante pour la coordination. En termes de mental, c’est aussi fantastique. C’est un sport qui apprend à gérer ses émotions et son stress. Le plus important, c’est ce qui a autour. Moi si je n’avais pas pratiqué le Tennis de Table, je ne serais peut-être pas sortie de mon milieu social. J’ai découvert d’autres endroits et ça, c’est magnifique. Ce sport promeut des valeurs qui sont très importantes dans la construction d’un enfant.
Le sport adapté, c’est aussi une approche de Ping Sans Frontières ?
Oui et c’est toujours dans une approche de rendre le tennis de table accessible dans des endroits où c’est compliqué. Au Burundi, c’était dans un centre de rééducation où malheu- reusement des enfants vivent avec des amputations, des handicaps. Dans leur schéma de rééducation physique et de reconstruction psychologique, on les a aidés avec l’intégration du tennis de table. Et après, les éducateurs adaptaient en fonc- tion des pathologies.
Quels sont les projets dont vous êtes la plus fière ?
J’ai de la chance d’avoir une équipe formidable qui m’ac- compagne. D’avoir réussi à fédérer, créer ce lien de confiance. Je trouve ça juste fou. On est complètement in- dépendant. On fait beaucoup de choses avec peu de moyens et ça j’en suis fière.
On a des réussites qui sont anecdotiques mais qui ont du sens pour nous. On a eu un Sud-africain qui a pu passer deux mois en France pour s’en- traîner au club de Levallois. Avec ce stage, on a pu lui faire une lettre de recommandation pour qu’il entre à l’université. Aujourd’hui il est architecte et entraîneur bénévole en Afrique du Sud. Il reproduit le schéma qu’il a suivi et ça c’est beau. On a aussi Joseph, c’est un jeune Ougandais qui fait partie des meilleurs joueurs au monde en moins de 11 ans. Il vient des quartiers de Kampala. Il n’avait pas de chaussures et il n’était pas scolarisé quand on l’a connu. Aujourd’hui, il parcourt le monde pour jouer au tennis de table. Il gagne un peu d’argent qu’il peut partager avec sa famille. Il permet de pousser les autres jeunes, dont des jeunes filles qui commencent à monter. À ces enfants, ça leur permet d’avoir un passeport, de voyager, de s’ouvrir… De découvrir le champ des possibles. Sortir de leur quartier et de voir que tout est possible. Ça pour moi, c’est fantastique.






















