Parmi les visages qui incarnent la nouvelle génération d’acteurs du changement en Afrique, rares sont ceux dont l’engagement sonne aussi juste que celui de Syra Sylla. À 41 ans, elle vient d’être sacrée « Championne de l’égalité des genres, de la diversité et de l’inclusion » 2024 pour l’Afrique par le Comité international olympique. Mais derrière ce trophée prestigieux se cache un parcours tissé d’humilité, de combats silencieux, et d’une passion contagieuse pour le sport et l’émancipation des jeunes filles africaines. PAR RUBEN DIAS. Extrait du WOMEN SPORTS AFRICA N°11.

« J’ai commencé le basket à 18 ans, ce qui est assez tard. Avant ça, j’étais très, très timide. À l’école, au collège, au lycée, j’avais du mal à aller vers les gens », confie-t-elle d’une voix douce. « Le basket, c’est ce qui m’a sortie de cette timidité. Quand je jouais, je me sentais à ma place. » Un terrain, une équipe, et tout à coup, une nouvelle version d’elle-même qui naît. Plus audacieuse. Plus confiante. « On s’entraînait deux, trois fois par semaine, on passait beaucoup de temps ensemble. Et c’est ce lien humain qui m’a fait grandir. » C’est à travers le sport qu’elle développe, presque malgré elle, une plume. Elle voyage avec son équipe, rédige des chroniques pour des amis qui tiennent un site web. « C’était l’époque du boom des blogs. Je racontais mes déplacements. Je suis devenue journaliste un peu par hasard. Nike m’a même envoyée à Los Angeles pour couvrir le lancement d’une paire de chaussures avec Kobe Bryant… »
Du terrain au clavier : militer par les mots
Mais ce n’est pas tant les paillettes de la NBA qui la marquent. Ce qui la bouleverse, c’est l’invisibilité des femmes dans le sport. « Mon premier match de basket que j’ai vu, c’était un match masculin. Pour moi, le basket féminin n’existait pas. Je n’en avais jamais vu. Et ça, ce n’est pas normal. » Cette absence médiatique devient son moteur. Elle lance Ladyhoop un site aujourd’hui reconnu comme pionnier de la couverture du basket féminin francophone.
Créer l’espace qui manque
Mais écrire ne lui suffit pas. Face aux discriminations systémiques dans les clubs mixtes, elle passe à l’action. « Même quand les filles jouaient à un niveau supérieur, les budgets allaient aux garçons. Un club payait des garçons qui jouaient en départemental, alors que les filles, en National, devaient payer leurs déplacements. Ça me révoltait. »
Sa solution : créer un club 100 % féminin, le Paris Ladies Basketball, dans le 20e arrondissement de la capitale française. Et en parallèle, une association plus souple, plus ambitieuse : ‘Ladies & Basketball. « Dans l’asso, ce que je voulais, c’était avoir un impact réel. Pas dire : j’ai fait une activité avec 200 filles qui je ne revois jamais. Moi, je voulais connaître les filles, les accompagner, les voir évoluer. »
Elle monte un groupe : Les 15. Quinze jeunes basketteuses qu’elle suit sur la durée, qu’elle connecte à des rôles modèles. « Je ne voyais pas de femmes noires dans le journalisme, donc jamais je ne me serais dit que je pouvais en devenir une. C’est pareil pour ces filles. Si elles ne voient pas de femmes médecins, d’avocates, comment peuvent-elles s’imaginer en devenir ? »
Du 20e arrondissement de Paris à Dakar : changer d’échelle
C’est au Sénégal, où elle s’installe il y a cinq ans, que Syra veut dupliquer ses actions. Mais elle se heurte à une autre réalité. « En France, je luttais contre les inégalités filles-garçons. Ici, les défis sont différents.»
Elle fonde alors une deuxième association, ouverte à tous les jeunes, pas seulement les filles, tout en gardant un focus particulier sur la jeunesse féminine. Elle découvre une jeunesse pleine d’idées mais bridée par le manque d’accompagnement. « Ici, on ose moins. Il faut que quelqu’un nous dise vas-y, ça mène là, on doute. Moi, ce que je veux à travers mes assos, c’est donner ce petit coup de pouce, ce regard qui dit : je crois en toi. »
Un ballon pour croire en soi
Ce regard, elle le matérialise avec 1000 Stars, un projet qui vise à distribuer 1 000 ballons de basket à travers les 14 régions du Sénégal. « Un ballon coûte 15 euros. Ici, des gens mangent pour 2 ou 3 euros. C’est un luxe. Mais au-delà du prix, c’est ce que ça symbolise. Je veux des toujours d’écrire leur nom dessus. Ce ballon, c’est le leur. Pas celui de leur frère. » Et lorsqu’elle tend un ballon à une fillette, elle voit l’étincelle. « C’est fort. Parfois, c’est la mère qui donne le ballon à sa fille. Et ce geste, c’est un ‘Je valide tes rêves’. Ça change tout. »
Une reconnaissance qui crédibilise
Lorsqu’elle apprend qu’elle est lauréate du prix du CIO, Syra est surprise. « Ce prix m’a permis de faire un retour sur moi-même. De mesurer l’impact qu’on avait. Je suis modeste, pudique même, donc je n’imaginais pas être sélectionnée. Mais ce prix, c’est une crédibilité. C’est une visibilité. »
Un trophée… et un miroir pour les autres
Mais Syra insiste : « Ce n’est pas mon travail. C’est notre travail. Je suis bien entourée. Je réfléchis très vite, j’ai plein d’idées, et j’ai toujours eu des gens autour de moi qui me disaient : ‘Allons-y’. » Ce prix, elle le dédie à toutes celles et ceux qui l’accompagnent dans l’ombre.
Et surtout, elle pense à l’impact local. « Je crois que je suis la première Sénégalaise à recevoir ce prix. Mes cousines m’ont appelé : ‘Mais c’est un truc de ouf !’ Et je sais que dans leurs yeux, c’était : ‘Si elle, qui vient du quartier, y arrive… pourquoi pas moi ?’ »
Repenser, inspirer, transmettre
Syra Sylla ne prêche pas. Elle agit. Inlassablement. En distribuant des ballons, en construisant des ponts, en créant des espaces sûrs pour les filles, en brisant le plafond d’invisibilité. Elle incarne une génération de femmes africaines qui font bouger les lignes, pas à pas, sans bruit, mais avec une puissance redoutable.
Et lorsqu’on lui demande ce qu’elle espère pour la suite, elle répond simplement, comme on passe un ballon en pleine course : « Si une seule fille, quelque part, se dit ‘je peux le faire’ parce qu’elle m’a vue… alors j’aurai gagné. »





















