Entre la République démocratique du Congo et la France, Bolewa Sabourin accompagne, par des ateliers de danse, les femmes victimes de violences, notamment pour qu’elles se réapproprient leur corps. On a cherché à comprendre ce qui a motivé les interventions du danseur/chorégraphe envers ces femmes. Rencontre poignante.
Par Léa Borie. Extrait du magazine WOMEN SPORTS AFRICA N°7 juillet-décembre 2023
Un impact passé et futur au Congo
Si aujourd’hui il intervient en région parisienne, en France, Bolewa Sabourin a fait naître son projet dans son pays d’origine, le Congo. Il faut remonter en 2017. À cette époque, il passe deux semaines à Bukavu, aux côtés des patientes de la fondation du docteur congolais Denis Mukwege (chirurgien gynécologue devenu prix Nobel de la paix en 2018), rencontré l’année précédente lors d’une conférence sur la reconstruction des femmes victimes de violences sexuelles. Tout ceci 10 ans après la création de LOBA*, association co-créée par Bolewa Sabourin et son ami William Njaboum.
« Les femmes dansent plus ici au Congo, introduit Bolewa. Après nos ateliers de danse dispensés aux patientes, ces dernières se rapprochaient d’un psychologue, qui a remarqué qu’elles s’exprimaient alors davantage. Mais plutôt que de créer deux groupes distincts – danse plus psy – nous avons pensé travailler ensemble vers une prise en charge commune, qui allie aussi bien les mouvements du corps que ceux des mots ». Le modèle était trouvé. Pour donner corps à ce projet congolais, Bolewa insiste sur l’importance de lui conférer une consistance scientifique, afin de revenir après ça plus structuré au Congo, pays ravagé par la culture du viol / viol de guerre.
C’est ainsi qu’une chercheuse en psychologie a été démarchée par LOBA pour mener une recherche sur l’efficacité de la thérapie « RECREATION » – l’art au service des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Et si aujourd’hui, la démarche intervient dans sept structures médico-sociales en Ile-de-France qui accueillent des femmes, Bolewa crée du lien avec des associations congolaises qui oeuvrent sur la question des droits des femmes. « À terme, je souhaite pouvoir partager au Congo notre modèle thérapeutique né de notre voyage en RDC en 2017 ».
Danser, outil de reconstruction et de lutte avec Bolewa Sabourin
WOMEN SPORTS AFRICA : Un certain sens de l’entraide vous anime-t-il ?
Bolewa Sabourin : Je pense qu’on reçoit tous de l’aide à un moment, sinon on ne pourrait pas survivre, même si celleci n’est pas toujours clairement définie. Mais à la fois, c’est parce que cette aide m’a manquée, que ce type de structure, de prise en charge m’a manqué, que j’ai décidé de le proposer moi-même ; de proposer quelque chose pour ceux qui ne se sentent pas à l’aise en groupe et pour d’autres qui, justement, ne se sentent bien qu’en groupe.
Les violences faites aux femmes, des violences sans frontière ?
Nous vivons sous domination patriarcale, aussi bien en Chine, en Inde, au Congo qu’en France… et cela passe par les corps. Contre ça, il existait déjà bien avant nous plusieurs formes de prise en charge, EMDR, art thérapeutique… Avec nos ateliers, on vient simplement contribuer à ces démarches qui passent par le corps pour libérer les esprits et ainsi se réapproprier les corps, dénués de diktats patriarcaux. C’est ainsi que je me définis comme « artiviste », pour que ma danse soit utile à moi et aux autres, à travers les ateliers, mais aussi les représentations comme avec mon spectacle « LArmes »… J’essaie de faire que l’art soit un outil de transformation sociale, car selon moi, un art engagé est un art qui engage les gens à se transformer et à transformer la société.
La danse selon Bolewa Sabourin, c’est quoi ?
Un langage, une seconde langue. La danse est comme un monde, un pays, un espace, un univers à part entière même, dans lequel je peux me réfugier, communiquer, échanger. Ça me permet de rester à l’équilibre, psychiquement, physiquement, émotionnellement. Je suis partisan d’une communication authentique et sincère.
Dans notre monde, il existe beaucoup de pression sociale, il est nécessaire de trouver le bon mot, la bonne posture, la bonne intonation, sans y mettre trop de passion ou d’émotion, à rester mesuré, là où la danse a une liberté d’expression plus grande, des vibrations plus larges, qui peuvent aller du silence à un boucan énorme. Je pointe du doigt la question de l’expression du mouvement par le corps, à travers des rythmes congolais, afro ou hip-hop principalement, mais ça peut aussi être le silence.
La danse est ma maison. Elle symbolise l’univers de ma naissance, ma mère étant l’élève de mon père, ils se sont rencontrés par le biais de la danse. Puis j’ai grandi dans des salles de danse. Mais la danse est aussi mon talon d’Achille. Elle a toujours précarisé mon père et aujourd’hui, elle ne me rapporte pas beaucoup.
Les danseurs ne sont pas reconnus à la hauteur de leurs efforts. Il faut toujours un troubadour, qui vient mettre un peu de bizarrerie dans la société sans pour autant être valorisé car, au fond, vous restez un rond dans un carré. On est malheureusement dans ce système avec ses violences invisibles. Mais la danse est un monde si puissant, équilibrant, partagé en famille, qu’on n’arrive pas à s’en détacher. À la maison, ma femme danse avec notre fils. Et après la sieste, nous allons à l’entraînement tous les deux…
Quel est votre langage dans la danse ?
Mon type de danse dépend du contexte, mais ma base est sans conteste afro-congolaise traditionnelle. Mon maître en danse, celui qui m’a structuré, était danseur au Ballet national du Zaïre. Je commence toujours par rentrer par ce langage-là. Mais après ça, il y a tellement de langages différents, un mélange fait de rencontres, hip-hop, jazz, contemporain, peut-être même classique ! On rencontre parfois les choses justes avec les yeux vous savez, que l’on rajoute dans son vocabulaire. Je pars de la tradition congolaise pour remonter vers l’Occident où j’ai grandi. Puis ensuite je me dirige vers des choses en fonction de mes émotions, de ce que je veux transmettre, partager…
Vous êtes plurilingue alors ?
Dans une société moins sécularisée, je pourrais vous parler en français, et parce qu’un mot me paraît plus juste en anglais, j’utiliserais cette autre langue dans la même phrase, et ensuite avoir recours à des néologismes entre français, anglais, et lingala (de RDC, ndlr). Vous auriez l’impression qu’on serait tous plurilingue, et nous pourrions nous comprendre comme ça.
Dans la danse, l’avantage, c’est que nous avons cette facilité à passer d’un langage à l’autre sans problème pour l’interlocuteur, puisqu’il n’est pas là pour décrypter ce qu’on a voulu dire, mais pour décrypter ce dont il a envie. Certains s’attardent sur la gestuelle, d’autres sur la musicalité ou l’expression.
Et vous, sur quoi vous attardez-vous ?
LOBA recreationbyloba.com