Rencontre avec la première femme élue à la tête d’une fédération sportive au Burkina Faso qui a réussi à s’imposer et à hisser son pays sur la scène internationale du rugby. A mi- parcours de son deuxième mandat, la présidente voit encore plus loin, toujours dans le souci de faire la part belle au rugby féminin et de convertir les esprits à l’ovalie. Par Amélie David. Extrait du WOMEN SPORTS AFRICA N.5.
Rolande Boro ne perd jamais une occasion de parler « de ce beau sport ». A l’entrée du parc Bengr Weogo, à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, la présidente s’improvise en missionnaire du rugby face à des élèves en sortie scolaire. « Quelle est la forme d’un ballon ? C’est rond ? » feint-elle d’interroger. « Oui ! », s’exclament en cœur les enfants burkinabè, dopés au football*. « Vous avez raison, mais pas totalement parce qu’il y a un grand sport qu’on appelle le rugby…, réplique la quadragénaire d’une voix douce et posée. Qui en a déjà entendu parler ? » Dans l’assemblée, moues dubitatives et regards médusés se mêlent aux sourires gênés. Loin d’être sur- prise, la présidente enchaîne et dessert un discours bien rôdé, épuré des aspects tech- niques. « Au rugby, sans les autres, on n’est rien ! C’est un sport qui se joue en équipe. C’est comme dans la vie », prêche-t-elle.
Les enfants écoutent, intrigués. Rolande Boro leur tend le ballon. Ils se ruent dessus. « Le sport, c’est aussi une manière de rester en bonne santé et de voyager. C’est bénéfique ! », argumente-t-elle. Après une petite démonstration, rendez-vous est pris pour une intervention plus longue dans les locaux de l’école. La présidente a peut- être trouvé là une nouvelle école de rugby à fédérer.
Une question d’égalité
« Si on veut développer le rugby, en particulier le rugby féminin, il faut aller à la base, chez les plus jeunes. Là où il n’y a pas de préjugés », argumente la présidente, comptable principal des matières au secrétariat général du gouvernement du Burkina Faso dans la vie civile. Sur le terrain de l’égalité des genres, le rugby peut apporter beaucoup assure cette dernière. « Ce n’est pas toutes les femmes qui ont la chance de jouer au rugby ! Voir jouer les filles au rugby donne une certaine ouverture. Nous sommes tous égaux », poursuit celle qui a grandi aux côtés d’une mère sportive.
Cette vision, Rolande Boro en a fait une philosophie. Avec son ballon de pèlerin, elle prêche sa bonne parole depuis plus d’une dizaine d’années.
Du hasard à la présidence
Tout commence au milieu des années 2000. Arrivée à Ouagadougou pour ses études, la basketteuse découvre le rugby « par hasard ». « Au départ, je ne comprenais pas le sens de ce jeu…», se souvient-elle. Elle y trouve en fait une famille et un sport qui « bouscule », ce qui lui correspond. D’autres femmes se joignent à l’équipe mixte. L’enfant de Bobo-Dioulasso s’en réjouit encore : « On ne nous voyait pas forcément faire un tel sport. Même pour nos coéquipiers, cela a remis en cause beaucoup de choses. »
En 2009, elle est sélectionnée dans l’équipe nationale du Burkina Faso pour participer à une compétition de rugby au Ghana. De re- tour au pays, chacune des joueuses retourne dans son club, avec les garçons. « Ce n’était pas durable, souffle l’ancienne deuxième ligne. En dehors des compétitions dans la région, les filles ne sortaient pas et jouaient seulement avec les hommes. »
Un engagement personnel
En 2016, Rolande Boro échange son mail- lot de secrétaire générale de la fédération qu’elle porte depuis huit ans contre celui de présidente. « C’est historique, se targue Antoine Yaméogo**, franco-burkinabè et joueur de l’équipe nationale burkinabè depuis 2017. Au Burkina Faso, elle n’est pas toujours prise au sérieux, du fait que ce soit une femme, mais aussi que la discipline qu’elle défend soit peu connue. »
En première ligne, Rolande Boro ne perd pas pour autant ses objectifs de vue et forme un ruck pour avancer. Objectif : l’affiliation à World Rugby. « Ils demandaient des résultats mais aussi de travailler dans les clubs pour avoir des sections féminines », se souvient l’ancienne joueuse qui a raccroché les cram- pons en 2011. Les résultats s’améliorent, le nombre d’équipes féminines augmentent (4 depuis 2018) et un championnat féminin est créé. Sur le terrain de la reconnaissance, le rugby burkinabè franchit la ligne des 22 mètres.
En 2019, Rolande Boro fait son entrée au co- mité exécutif de Rugby Afrique et au conseil de World Rugby. « C’est un atout pour nous ! C’est une porte-parole du rugby féminin. Aussi, c’est une femme présidente de fédé- ration et qu’on le veuille ou non, ça restait assez masculin jusque-là… », souligne Maha Zaoui, manager du rugby féminin chez Rugby Afrique.
Pour Rolande Boro, cette élection au sein du comité est une victoire sur plusieurs fronts. « Cela veut dire qu’on ne juge pas les gens en fonction d’où ils viennent mais de ce qu’ils font. Ensuite, ça donne une autre vision du rugby : ce n’est pas qu’un sport d’hommes et cela renforce notre crédibilité aux yeux des autorités. »
Le 18 novembre 2020 : la ligne d’essai est franchie. Le Burkina Faso devient membre à part entière de World Rugby. Les yeux de Rolande Boro s’illuminent d’autant plus : « Il y a des dates comme celle-ci qu’on ne peut pas oublier !». Cette même année, l’ancienne rugbywoman signe pour un deuxième mandat en tant que présidente de fédération. Rolande Boro et son équipe ont aplati l’essai. Reste à le transformer selon cette dernière. La joueuse de rugby touché poursuit ses ambitions : faire du Burkina
Faso une nation de rugby à l’image de « Madagascar » qu’elle admire beaucoup.
La Ouagalaise d’adoption espère que la par- ticipation à la Rugby Africa Cup permettra de mettre en lumière le rugby burkinabè et de témoigner de son effervescence. Même si ce sont des hommes sur le terrain. « C’est aussi motivant pour qu’on s’occupe des filles derrière ! », confirme Maha Zaoui. Rolande Boro le sait : au rugby, quand il y a une percée, il faut du soutien pour concrétiser l’essai et le transformer. La présidente ne perd jamais une occasion d’en mobiliser.
* Au Burkina Faso, le football est roi. Chaque jour, il est possible de voir y jouer des jeunes sur des terrains de fortune. Les soirs, les maquis (ces bars de quartiers) s’embrasent au moindre but marqué par les footballeurs, qu’ils soient burkinabè, africains ou européens. Le rugby, lui, est loin de bénéficier de la même réputation.
**Antoine Yaméogo s’est blessé en Ouganda lors du tournoi de rugby à 7 et ne disputera finalement pas la Rugby Africa Cup cet été.