La vie de Safia Ibrahim-Otokoré est un roman. Directrice-adjointe de l’Agence Française de Développement (AFD) en Guinée, elle est l’incarnation de tous les engagements qui sont la raison d’être de ce magazine : la place des femmes dans le sport et dans la société, l’émancipation des jeunes filles par le sport, le sport en tant que moteur de la réussite personnelle… A travers son parcours passionnant, nous allons découvrir les projets mis en place par l’AFD dans le cadre de la plateforme « Sport en Commun » pour favoriser l’émancipation des femmes par le sport en Afrique. Bienvenue dans un monde d’espoir et d’enthousiasme. Votre guide s’appelle Safia ! PAR DAVID TOMASZEK
Extrait du magazine WOMEN SPORTS AFRICA N°2 de janvier à juin 2021.
J’ai un parcours ordinaire, que le sport a rendu extraordinaire. » Née à Djibouti de parents somaliens, Safia Ibrahim-Otokoré a connu la grande pauvre- té. Une famille nombreuse, immigrée, vivant dans les quartiers les plus défavorisés de la ville, sans électricité. Sa vie était toute tracée, sous le poids des traditions. « A 7 ans j’étais « cousue » (excisée). La vie qui m’était promise c’était : pas d’école et un mariage programmé. » Mais le destin sourit à Safia. L’une de ses sœurs, née avec une malformation, est prise en charge par une ONG. La responsable de cette ONG repère Safia et décide de convaincre sa famille de la scolariser. Un professeur de sport détecte son potentiel athlétique et l’inscrit à une compétition de cross. La vie de Safia va basculer grâce au sport. Mais elle devra en passer par un compromis incroyable : être considérée par sa famille… comme un garçon ! «Ma mère m’avait interdit de courir. Une fille qui fait du sport, c’était contraire à nos traditions. Mais le prof lui a expliqué que je pouvais gagner des prix. Cela représentait énormément de ressources pour notre famille. Alors ma mère a accepté que je cours mais « en tant que garçon ». Mon surnom était « serpent ». » Un « serpent » qui devient champion de Djibouti, rapporte des revenus à ses parents et fait vaciller les certitudes culturelles de son foyer. « On était 10 dans la famille, dont 7 filles. Je suis la seule à avoir fait collège et lycée. Grâce au sport, j’étais « rentable ». » Elle gagne le droit de «vivre comme un garçon» et de poursuivre ses études, en bénéficiant de bourses. Une des clés de sa réussite qu’elle tente aujourd’hui de reproduire pour d’autres jeunes filles. « Dans les territoires très défavorisés, sortir la fille qui aide à vendre quelque chose dans la rue, les familles ne le font que s’il y a un enjeu économique. La clé de la scolarisation des jeunes filles, ce sont les bourses d’étude. »
Safia obtient son BAC puis s’oriente vers des études supérieures dans le domaine du sport, d’abord à l’Institut National de la Jeunesse et des Sports (INJS), à Dakar puis à Abidjan, en France ensuite où elle valide une licence UFR STAPS. Tout en poursuivant ses études, Safia fait la connaissance de celui qui deviendra son mari, une petite star à l’époque, le footballeur Didier Otokoré. Ensemble, ils s’installent à Auxerre. « Je de- viens « femme de joueur de foot », ce qui ne correspond pas forcément à mon tempérament. Mais je suis parallèlement très active : étudiante, entraîneure de basket, enseignante dans un foyer social. Et pour la petite histoire, le célèbre entraîneur de l’AJA, Guy Roux, qui était un peu notre papa, je le retrouverai quelques années plus tard face à moi dans des réunions du conseil municipal d’Auxerre puis de la Région Bourgogne ! »
Car vous l’avez compris, le parcours de Safia la fonceuse ne fait que commencer. Elle de- vient maman, vit en Afrique quelque temps, puis revient en France pour embrasser une carrière politique. Jusqu’à devenir vice-présidente de la région Bourgogne en charge du sport ! « J’ai soutenu la campagne de François Patriat qui a été élu Président. Il m’a donnée deux délégations, le sport et les relations internationales, avec toute la légitimité et le pouvoir de décision. » Safia utilise ce pouvoir pour mettre le paquet sur le sport féminin. « Au début, cela a un peu «traumatisé » les gens que l’on investisse autant dans le sport féminin. J’ai dit à mes interlocuteurs : « Depuis toujours, le monde s’occupe des garçons. Je vais m’occuper des femmes. En s’occupant des femmes, on s’occupe de la communauté entière. » On donnait les mêmes subventions aux sections féminines qu’aux plus grands clubs pro de la région, comme l’AJ Auxerre en football ou la JDA Dijon en basket ! Dans les régions, le sport n’est pas une compétence obligatoire. On l’inscrivait dans une démarche d’égalité. Par exemple, Anne-Caroline Chausson qui a décroché la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Pékin en BMX, devait travailler pour financer son sport. On lui a donné une bourse. On a acheté 200 minibus pour favoriser le transport des équipes de filles et du milieu rural. On a créé le prix « Femmes et Sport ». Bref, on a assumé une politique sportive féministe ! »
Safia poursuit sa carrière politique auprès du socialiste Pierre Moscovici. Elle participe à la campagne de François Hollande aux présidentielles françaises de 2012. Tout en conservant en permanence des activités dans le monde du sport. « Pour gagner le droit d’avoir cette «grande gueule» il faut que je gagne ma vie en dehors de la politique ! » Après Bercy, en 2013, Safia intègre l’Agence Française de Développement (AFD) en tant que conseillère en charge des questions Genre et égalité F/H auprès de la direction stratégique et communication, puis en 2016, elle est nommée conseillère du directeur général, Rémy Rioux. En 2018, elle devient directrice-ad- jointe de l’AFD en Guinée, en charge du pole éducation, formation, décentralisation et lien social (Genre et sport). L’an der- nier, ce ne sont pas moins de 140 millions d’euros qui ont été octroyés en Guinée par l’AFD, sur des projets de développement. En 2019, l’AFD a intégré le sport comme un axe majeur de sa stratégie, au service de valeurs telles que l’égalité entre les sexes ou l’autonomisation économique des jeunes femmes. Une politique que Sa- fia peut accompagner mieux que personne et dont elle nous livre les clés. « Le sport est devenu un enjeu prioritaire de l’AFD. Notamment pour favoriser l’émancipation des femmes. Le sport est un vecteur de cohésion sociale et d’égalité pour promouvoir l’émancipation des filles en Afrique. Nous avons par exemple de grands projets dans le domaine du football, en partenariat avec la FIFA, qui visent un objectif majeur de développement durable : l’égalité entre les femmes et les hommes. Concrètement, nous soutenons la création d’équipes féminines et les projets éducatifs autour du football. » Safia sait mieux que personne que le sport est un formidable vecteur d’émancipation. « C’est un moyen pour les femmes africaines de participer de manière active, volontaire, et autonome, à un monde en commun. Troisième lieu d’éducation après la famille et l’école, le sport est un langage universel, inspirant, qui ré- unit et qui fédère, capable de transcender les frontières, les cultures, les croyances, les différences physiques. Un espace pour s’émanciper, se dépasser, partager et créer du lien social. » Safia insiste également sur la notion de bien-être et de confiance en soi que peut apporter le sport aux femmes, pour réussir leur vie. « Le sport est un excellent moyen pour valoriser les capacités physiques et mentales des femmes et pour renforcer leur confiance en elles et leur autonomie, d’affirmer leur personnalité, voire de développer des capacités de leadership, dans des contextes où leur corps est souvent un enjeu sociétal. »
Pour illustrer sa conviction, Safia revient sur son parcours. « Je n’ai pas demandé à naître fille. Je suis devenue fille à 7 ans quand ils m’ont « cousue ». A l’adolescence j’avais la rage. J’ai transformé cette rage en force. Aujourd’hui, je veux rendre à la société ce que le sport m’a donné. » Tout en portant de toutes ses forces ce combat pour l’émancipation des femmes africaines par le sport, Safia n’en oublie pas de montrer l’exemple en mettant des couleurs dans sa propre vie. « Avant de venir en Guinée, j’ai passé mon brevet de pilote. Mon prochain projet fou est de faire le tour du continent africain en avion par la côte. » « Rien ne nous est interdit parce qu’on est femme », assène-t-elle, avant de nous livrer sa devise préférée en forme de magnifique conclusion : « L’univers conspire à mon bonheur.»
LES PROJETS FOOTBALL SOUTENUS PAR L’AFD
Un partenariat entre la FIFA et l’AFD pour l’émancipation des filles par le football en Afrique
Le 4 juin 2019, l’AFD et la FIFA ont signé le premier accord de partenariat en présence du Président de la République française qui symbolise la première rencontre entre le monde du football et le monde du financement du développement. La signature de cet accord vise à placer le football comme puissant vecteur de développement dans le monde et à coopérer sur des projets communs sur le continent africain autour de deux objectifs principaux :
1. L’égalité entre les femmes et les hommes pour permettre l’autonomisation et l’émancipation des femmes par le football
2. Le football à des fins éducatives
Un premier projet commun FIFA / AFD est en cours d’identification dans le golfe de Guinée pour l’émancipation des filles par le football.
La FIFA et l’AFD travaillent sur un projet pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes et favoriser l’émancipation des filles par le football au Bénin, en Guinée et au Togo.
Deux objectifs sont recherchés à travers ce projet
Autonomisation sociale des filles : les filles et les garçons deviennent des champions du changement dans leurs communautés. En jouant, les filles acquièrent des compétences de vie comme la confiance en soi, l’esprit d’équipe, l’affirmation de soi. Des activités de sensibilisation en marge des entraînements permettant aux filles d’acquérir des connaissances et compétences les amènent à devenir plus à même de prendre des décisions sur leur santé sexuelle.
Autonomisation économique des filles : les filles participant au programme acquièrent des compétences pour leur futur. En utilisant la méthode de l’autonomisation économique des femmes qui gagnent, le projet permet de créer des emplois liés au sport, comme les éducateurs d’EPS, les organisateurs d’évènements, les entraîneurs, les arbitres ou encore les joueuses professionnelles.