Nouvelle directrice du Comité International des Jeux de la Francophonie (CIJF), la Libanaise Zeina Mina, 56 ans, fourmille d’idées et d’ambition pour cet événement quadriennal qui allie sport et culture. Son credo : impliquer davantage les partenaires, c’est-à-dire les gouvernements des 88 États-membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), mais aussi les fédérations sportives.
Propos recueillis par David Tomaszek
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.14 d’octobre-novembre-décembre 2019
WOMEN SPORTS : Zeina Mina, faisons connaissance ! Vous avez été nommée en mai dernier au poste de Directrice générale du CIJF. Mais votre parcours a commencé par une carrière sportive.
Zeina Mina : En effet, j’ai porté les couleurs du Liban en athlétisme. J’ai représenté mon pays lors de grandes compétitions internationales, dont les Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984, sur 400 m. Je possède plusieurs records nationaux, encore aujourd’hui. Ce n’est pas normal, il est temps que la jeunesse prenne la relève ! (rires) Dans notre culture libanaise, pratiquer le sport avant 18 ans n’est pas encore entré dans les mœurs. Encore moins de façon compétitive. Mais les choses évoluent dans le bon sens !
WS : Vous avez ensuite connu un parcours universitaire au Liban, jusqu’à devenir doyenne de la Faculté des Sciences du sport de l’Université Antonine pendant près de 10 ans.
Z.M : J’ai été enseignante scolaire puis universitaire en préparation physique tout en suivant un cursus complet au Liban, jusqu’à une thèse. Puis à 40 ans, j’ai repris des études en France, à l’Université Claude Bernard à Lyon où j’ai soutenu une thèse qui concernait déjà à l’époque les Jeux de la Francophonie. J’avais en effet participé à l’organisation des Jeux de la Francophonie de Beyrouth en 2009. J’étais alors conseillère du ministère des Sports. Au Liban, j’ai œuvré à la transformation de l’Institut d’éducation physique et sportive en véritable Faculté des Sciences du sport. Nous avons fait intervenir des experts français ou italiens mais aussi des personnalités comme le Français Lilian Thuram. Nous avons multiplié les partenariats et les échanges universitaires, notamment avec des Facultés et grandes écoles françaises. Nous avons développé peu à peu des cursus complets en entraînement, éducation/motricité et management du sport. Nous avons créé le premier laboratoire de recherche en sciences du sport en 2008, ce qui nous a valu en 2015 le prix de l’innovation décerné par le CIO à notre Faculté. Enfin, nous avons également créé en 2015, avec le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur au Liban, un parcours sport-études dans l’insertion professionnelle. Les élèves peuvent intégrer cette école technique à partir de la 4e. Cela les mène à un bac professionnel qui leur permet d’intégrer l’université. Je suis certaine que ce cursus produira dans 10 ans des athlètes de haut niveau au Liban !
« Les Jeux de la Francophonie manquent de visibilité et de positionnement sur les calendriers des grandes fédérations sportives. »
WS : Vous avez dernièrement rejoint les Jeux de la Francophonie en tant que Directrice. Un nouveau challenge !
Z.M : Absolument ! Mon « histoire d’amour » avec les Jeux de la Francophonie ne date pas d’hier. J’ai participé à ceux de Niamey (Niger) en 2005 en tant chef de mission et j’ai dirigé le volet sportif des Jeux de 2009 à Beyrouth (Liban). Puis j’ai été missionnée en tant qu’experte par le CIJF. Lorsqu’un appel à candidatures à été ouvert pour le poste de direction, j’ai bien évidemment présenté la mienne. Après de nombreuses années de « combat » au niveau national dans mon pays, j’avais très envie de donner mon énergie à un niveau international, avec de nouveaux interlocuteurs. Et j’aime beaucoup la France et Paris, où est basé le CIJF. J’avais envie de relever ce challenge !
WS : Vous avez été nommée dans un contexte compliqué puisque les villes canadiennes et Moncton et Dieppe, dans le Nouveau-Brunswick, venaient de renoncer à l’organisation des Jeux de la Francophonie 2021.
Z.M : Il ne faut pas se le cacher, ce retrait a été un coup dur. Les Jeux de la Francophonie ont besoin des pays du Nord pour leur visibilité, leur notoriété, pour être vecteurs de valeurs de solidarité et de cohésion sociale partout dans le monde. J’ajoute, pour abonder dans l’autocritique, que les Jeux de la Francophonie manquent de visibilité et de positionnement sur les calendriers des grandes fédérations. Je préfère le dire aussi clairement que cela car c’est en mettant le doigt sur la blessure que l’on arrive à la guérir. Mais l’appétence des pays du Sud est grande. Nous avons reçu une très belle candidature de la République Démocratique du Congo pour reprendre le flambeau de ces Jeux 2021.
WS : C’est donc la RD du Congo qui accueillera les Jeux de la Francophonie 2021…
Z.M : La République Démocratique du Congo a déposé un dossier de candidature très complet dans un temps record. L’enthousiasme des pays du Sud pour cet événement est immense ! Lors des Jeux de Beyrouth en 2009, j’ai vécu de l’intérieur cet engouement. On me disait « on organise les Jeux francophones olympiques ! » À nous, au CIJF, de faire en sorte qu’à l’avenir cette référence (flatteuse) disparaisse, et que les Jeux de la Francophonie trouvent leur propre identité.
WS : Comment faire grandir les Jeux de la Francophonie ?
Z.M : Il faut décloisonner, aller au-devant de nos partenaires pour mieux comprendre leurs besoins. Je pense en particulier aux fédérations sportives. Lors de ma première réunion en RDC, il n’y avait que des fonctionnaires autour de la table. Nous leur avons demandé d’associer au plus vite les représentants des fédérations sportives nationales. Nous avons la chance de collaborer directement avec les gouvernements, il nous faut collaborer davantage avec le mouvement sportif. Nous devons aller à la rencontre des grandes fédérations sportives internationales pour comprendre leurs stratégies sportives et faire en sorte que les Jeux de la Francophonie s’intègrent dans leurs calendriers. Il faut que, dans chaque sport concerné, ces Jeux soient un tremplin pour les jeunes vers des Championnats du monde ou des Jeux Olympiques. L’autre piste de réflexion est la constitution, dans chaque État-membre, de cellules permanentes, pour faire vivre l’ambition des Jeux de la Francophonie en continu, et non pas seulement une fois tous les quatre ans. Une telle cellule à l’échelon national pourrait perpétuer les échanges, véhiculer l’information, notamment avec les fédérations sportives, établir des projets… Nous sommes ouverts à travailler avec tout le monde, pour oeuvrer à la diffusion de la culture et du sport dans le monde francophone. C’est une richesse tant pour le Nord que pour le Sud !
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