Depuis quelques années, Madagascar utilise le sport, et plus précisément le rugby, au service de l’éducation de sa jeunesse. Gouvernement, corps enseignant et communautés malgaches, tous ont compris les enjeux du sport pour le développement. Tous, y compris les jeunes filles, qui trouvent sur les terrains les clés de leur émancipation. Par Floriane Cantoro.
Extrait du magazine WOMEN SPORTS AFRICA N°2 de janvier à juin 2021.
Utiliser le rugby comme outil d’éducation et d’émancipation et comme vecteur de solidarité internationale. C’est avec cette ambition chevillée au corps que « Terres en Mêlées » a débarqué à Madagascar en 2014, à la demande de la fédération Malagasy Rugby. Créée en 2011 par l’ancien rugbyman professionnel Pierre Gony, également éducateur sportif, cette association avait déjà fait ses preuves en matière de sport pour le développement avec des projets menés au Maroc et au Sénégal. Mais à Madagascar peut-être encore plus qu’ailleurs, l’idée d’utiliser la pratique du rugby comme support éducatif a plu. « Il y a un vrai engouement de la part du gouvernement malgache pour mettre le sport au service du développement », explique Pierre Gony. Cette volonté associée à une forte culture rugby, et « Terres en Mêlées » a eu vite fait de prendre ses quartiers sur cette île de l’océan Indien.
19.000 jeunes filles initiées au rugby
Aujourd’hui, l’association joue un rôle de tout premier plan à Madagascar. Via ses actions éducatives, elle rythme chaque jour le quotidien de milliers de jeunes filles et garçons qui s’émancipent et grandissent grâce aux valeurs véhiculées par le rugby. En six ans, plus de 30.000 enfants malgaches ont été initiés à la pratique de ce sport, dont 19.000 filles. Parmi les actions notoires de l’association, on peut citer la création du premier championnat national de rugby scolaire mixte du pays (en partenariat avec Malagasy Rugby, le Ministère de la Jeunesse et des Sports et le Ministère de l’Éducation nationale). « Notre approche est de toucher prioritairement le milieu scolaire car le tissu associatif africain n’est pas encore assez développé, explique le fondateur de « Terres en Mêlées ». En revanche, beaucoup d’enseignants locaux souhaitent être formés pour faire de l’éducation par le sport une réalité au sein des établissements scolaires. Il s’agit de leur donner les ressources pédagogiques nécessaires sur lesquelles ils pourront s’appuyer afin de favoriser l’égalité des genres au sein de leur communauté. »
Emancipation par le rugby, le bel exemple de Marcelia
Pour porter haut et fort ses valeurs, « Terres en Mêlées » a préféré donner la parole à de jeunes bénéficiaires de ses projets plutôt qu’aux rugbymen professionnels. C’est ainsi que de jeunes filles ont émergé pour devenir des symboles de l’éducation et de l’émancipation par le sport.
C’est notamment le cas de Marcelia, 20 ans. En 2014, quand l’association arrive dans son village d’Antsepoka (sur la Côte Saphir au sud-ouest de Madagascar) avec ses fameux ballons ovales, c’est pour elle une petite révolution. Elle découvre que le rugby lui donne une force nouvelle. « Quand je l’ai rencontrée, elle était une jeune maman de 13 ans, se souvient Pierre Gony. Elle ne pouvait pas jouer au rugby avec son bébé dans les bras… alors je le lui ai pris et je lui ai donné un ballon à la place. Elle est entrée sur le terrain, l’a traversé en bousculant tous les garçons sur son passage pour marquer un essai. C’était incroyable ! Les regards sur elle ont immédiatement changé : les gens ne voyaient plus seulement cette jeune fille devenue maman trop tôt, mais ils percevaient désormais la sportive aux qualités athlétiques impressionnantes, une dure à cuire qui ne recule jamais devant l’adversité. » Marcelia est rapidement devenue une icône au sein de sa communauté. Elle a été repérée par les grands médias et son chemin l’a menée jusqu’à la dernière Coupe du monde de rugby au Japon, où elle était égérie pour Société Générale. « C’est l’histoire d’une petite fille privée d’école qui, grâce au sport, a obtenu la reconnaissance de tous. Elle prouve qu’on peut réussir dans le sport autrement que par la compétition. » Un film documentaire – « La jeune fille et le ballon ovale » – produit par les Docs du Nord et réalisé par Christophe Vindis en 2017 retrace son parcours. « Elle incarne une nouvelle génération de jeunes filles qui sont prêtes à se battre pour vivre leur passion et capables de surmonter tous les obstacles – culturels, financiers, religieux, traditionnels – pour évoluer librement sur les terrains de sport et affirmer leur émancipation. »
Tous unis pour l’égalité des genres à Madagascar
Ce film a fait connaître les projets de « Terres en Mêlées » et a convaincu le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères à travers son Ambassade de France d’apporter un financement afin de créer le premier Brevet d’aptitude Sport pour le Développement – option rugby – (dont 70% des bénéficiaires sont des femmes). Ce projet, doté d’une enveloppe globale de 500.000€, a également pour mission de former sur deux ans « une nouvelle génération de professeurs d’éducation physique et sportive malgaches afin qu’ils puissent comprendre les enjeux du sport pour le développement et avoir des outils adaptés pour travailler sur l’égalité des genres et la mixité en temps scolaire ».
Ce projet a permis la mise en place d’autres activités comme des stages sur l’entrepreneuriat sportif dans différentes villes de la grande île, des stages de sensibilisation au rugby pour les institutrices ou des entraînements pour les enfants défavorisés de Tananarive et de Tamatave.
Ce projet « Réduire les inégalités femmes-hommes par le rugby, vecteur de la promotion du genre et de développement à Madagascar » est mené à l’initiative de l’Ambassade de France à Madagascar, en partenariat avec l’Académie nationale des sports et Malagasy Rugby. Pierre Gony se réjouit de l’implication des instances. Il entend donner une suite au projet en « accompagnant les formateurs ainsi accrédités (diplômés) pour qu’ils puissent disséminer à leur tour, auprès de la communauté éducative malgache, les contenus appris. »
Les formations se poursuivent également à destination des jeunes filles du pays. Pour trouver « la nouvelle Marcelia », « Terres en Mêlées » a récemment créé le dispositif du « XV des ambassadrices ». Ce nouveau projet, financé par le Comité international olympique (CIO) et la Fondation Société Générale, vise à accompagner des joueuses pour qu’elles deviennent des éducatrices en faveur de l’égalité des genres, puis des ambassadrices. « Le but est qu’elles prennent la parole pour sensibiliser leur communauté autour de l’empowerment des femmes via le sport. » Marcelia a déjà marqué l’essai, à d’autres de le transformer.
« Terres en Mêlées » : histoire et actions de l’association
Pour comprendre l’histoire de « Terres en Mêlées », il faut d’abord connaître celle de Pierre Gony. Cet ancien joueur du Stade Toulousain, 36 ans aujourd’hui, était un adolescent turbulent. Il aurait pu « mal tourner » si un éducateur de rugby ne lui avait pas tendu la main pour le remettre « sur le droit chemin ». « Il m’a permis de me remobiliser sur mon parcours en me faisant intégrer un grand club de rugby : à 14-15 ans, je suis passé de petit délinquant à rugbyman de haut niveau. »
Quelques années plus tard, Pierre Gony décide de devenir éducateur à son tour. Il se donne pour mission d’aider les jeunes des quartiers défavorisés de Toulouse via la pratique du rugby, en les amenant dans les clubs. Il les suit et les accompagne pendant des années, jusqu’à ce que ces jeunes grandissent et deviennent des adultes insérés dans la société. Estimant avoir fait « sa part du travail », l’ancien athlète décide de se consacrer à un projet plus personnel alliant son goût du voyage, sa passion du rugby et son métier d’éducateur. À 25 ans, il se lance un défi : faire le tour de l’Afrique à vélo, des ballons sur le porte-bagage, et troquer le gîte et le couvert contre des séances d’initiation. « Aller à la rencontre de l’autre avec le rugby comme passeport. » L’engouement que suscite son projet est tel qu’une association est créée : « Terres en Mêlées ». Elle se lance dans l’aventure au Maroc en 2011. Sur place, les bénévoles aident un groupe de jeunes marocains à monter un club de rugby dans leur village. De fil en aiguille, d’autres clubs et d’autres initiatives similaires voient le jour dans plusieurs pays africains et cela conduit à la création de trois nouvelles associations « Terres en Mêlées » au Togo, au Burkina Faso et à Madagascar. Dix ans plus tard, « Terres en Mêlées » est un réseau d’associations affiliées qui œuvrent ensemble dans l’éducation par le sport pour créer une culture commune de paix. Ses actions portent sur le développement de la pratique, la promotion de l’égalité des genres, l’éducation socio-citoyenne et l’accompagnement vers l’emploi.
Les actions de « Terres en Mêlées » ont reçu une reconnaissance internationale. Notamment le soutien de la Fédération internationale de rugby (World Rugby), via son programme appelé « Spirit of rugby ». Et « Terres en Mêlées » Madagascar a gagné le prestigieux prix Beyond Sport Global.