La Franco-Béninoise Isabelle Yacoubou a soufflé ses 35 bougies il y a seulement quelques mois. L’occasion de revenir sur son immense carrière de basketteuse professionnelle, mais aussi et surtout sur les nombreux engagements pour lesquels elle se dévoue désormais. Championne de France, d’Italieet d’Espagne, Championne d’Europe et vice-championne olympique, la Lionne de Bourges est aussi « Championne de la Paix » avec l’organisation Peace and Sport et « Sport Impact Leader » pour la plateforme « Sport en commun » de l’Agence Française de Développement (AFD). PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËL MARCANT. Extrait du magazine WOMEN SPORTS AFRICA N°3.
WOMEN SPORTS AFRICA : TU ES DEVENUE, EN 2017, CHAMPIONNE DE LA PAIX POUR PEACE AND SPORT. DEPUIS PEU TU ES AUSSI SPORT IMPACT LEADER POUR SPORT EN COMMUN. QU’EST-CE QUE CELA SIGNIFIE ?
ISABELLE YACOUBOU : C’est tout simple- ment être ambassadeur d’une vision, véhiculer des valeurs et des messages forts et promouvoir la paix à travers le sport. C’est aussi mettre en place des projets pour développer par le sport un lieu ou un domaine bien spécifique. Je suis sensible à ces sujets et en parler autour de moi est naturel. C’est vraiment cette question de rassembler et de transmettre un message de paix et de bonheur. C’est aussi inspirer les jeunes par notre « statut ».
COMMENT EST-ON AMENÉ À REJOINDRE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES TELLES QUE PEACE AND SPORT ET L’AFD ?
J’ai rejoint Peace and Sport sur recommandation de mon agent. Je cherchais à m’ouvrir à ce type d’actions et d’horizons. Cela s’est fait très vite. Pour mon rôle de Sport Impact Leader, ça a été une évidence. Jean- Marc Adjovi-Boco, l’un des fondateurs, est d’origine béninoise, comme moi. Il m’a présenté ce projet, a sollicité ma participation et j’ai tout de suite accepté. Je n’ai pas hésité une seule seconde. Défendre ces causes et participer à de tels projets, ça me motive au quotidien.
POUR REBONDIR SUR TES ORIGINES, EST-CE QUE TU SENS QUE TA CARRIÈRE A INSPIRÉ DES JEUNES AU BÉNIN ?
J’espère bien, au moins une personne (rires). Non plus sérieusement je pense oui, je reçois beaucoup de messages de jeunes pour de l’aide ou des conseils et je suis toujours très heureuse de pou- voir leur apporter mon soutien. C’est aussi pour ça que j’ai rejoint « Sport en Commun ». Pour réaliser des projets de développement du sport en Afrique, pour l’Afrique. Ça me touche forcément plus. Ils n’ont pas beaucoup de moyens. C’est bien d’aider la France, mais là-bas
il n’y a rien. J’en ai d’ailleurs récemment parlé avec des joueuses. Nous on change de chaussures 4-5-6 fois par an pour pratiquer. Eux, ils jouent pendant plusieurs années avec la même paire au point de finir par jouer pieds nus, parfois !
Et leurs terrains sont souvent en ciment et non en beau parquet. En France, on a cette chance d’avoir des infrastructures de qualité. En Afrique, il y a beaucoup à faire ! Donc si je peux aller aider là-bas, j’irai.
TRÈS TÔT, TU T’ES IMPLIQUÉE DANS L’HUMANITAIRE. TU AS NOTAMMENT ORGANISÉ DES ÉVÉNEMENTS TELS QUE LES MATCHS D’EXHIBITION ENTRE COTONOU ET PORTO NOVO LORS DU « BASKETBALL WEEKEND D’ISABELLE YACOUBOU » QUE RETIENS-TU DE CETTE EXPÉRIENCE ?
C’était super. Mais faire des camps pour une semaine par an, ce n’est pas assez impactant. Aujourd’hui, on réfléchit à une manière de pérenniser ces aides et ces actions. Je suis en relation avec Patrick Talon, président du Bénin, qui souhaite restructurer le sport pour en faire une place forte dans le pays. Quand le moment sera venu, j’y retournerai pour développer des projets plus viables et plus durables.
L’IDÉE EST DONC DE PARTIR SUR DES PROJETS À LONG TERME ? J’AI ENTENDU DIRE QUE TU AURAIS L’ENVIE DE CRÉER UNE ACADÉMIE, NOTAMMENT.
Oui, c’est même un rêve depuis tou- jours. J’aimerais créer une académie au Bénin pour permettre aux jeunes de s’exprimer, d’apprendre à jouer au basket mais pas seulement : il y a aussi les cours, l’éducation ! Le sport est une belle manière d’apprendre. C’est un peu une école de la vie et ses va- leurs peuvent apporter beaucoup. J’aimerais créer des vocations. Cette académie, c’est mon petit rêve à moi mais je n’ose pas en parler trop souvent. Ça porte malheur (rires).
CETTE VISION DES CHOSES, CE RÊVE, C’EST UNE ENVIE DEPUIS TOUTE JEUNE OU C’EST UN ÉLÉMENT QUI A ÉTÉ MÛREMENT RÉFLÉCHI AU FIL DES ANNÉES ?
Je pense que ça fait partie de mon éducation. Ma mère ne gagnait pas beaucoup, mais elle accueillait tou- jours plein de monde à la maison, de la famille comme des inconnus. Mes parents ont toujours souhaité aider les autres avant de penser à eux-mêmes. C’est inscrit dans mon histoire familiale et forcément, j’ai envie de faire la même chose. Je pense que c’est aussi ce qui m’a poussée à vouloir adopter (ndlr : Isabelle a adopté un petit garçon béninois en 2015 puis a donné naissance à une petite fille en 2018, elle est aujourd’hui l’heureuse maman de deux enfants qui se prénomment Espoir et Lisa !).
ÊTRE UNE MAMAN ATHLÈTE, QU’EST- CE QUE CELA SIGNIFIE ?
Ici en France c’est très compliqué. La mentalité n’est pas très évoluée. En Italie c’est totalement différent. Ici, le boulot c’est le boulot et la famille n’en fait pas partie. Je pense qu’il faudrait du changement. Par exemple, je suis la première basketteuse à qui on a autorisé d’emmener sa famille aux Jeux Olympiques lorsque j’étais en équipe de France. J’ai l’impression que c’est un sujet tabou en France comparé à d’autres pays.
C’EST LE MOMENT DE REPARTIR DE 0 ET DE REVENIR SUR TON PARCOURS. UN PARCOURS EXCEPTIONNEL QUI A COMMENCÉ PAR L’ENVOI D’UNE VIDÉO, UNE SORTE DE LETTRE DE MOTIVATION INTERACTIVE, AU CLUB DE TARBES ! RACONTE-NOUS CETTE ANECDOTE ÉTONNANTE.
Quand tu es du Bénin, c’est très compliqué de se faire remarquer et de se vendre. Alors à l’époque, j’ai fait une vidéo avec une démonstration et une petite interview pour montrer ce que je savais faire et qui j’étais. C’était ma dernière chance. Des mots n’auraient pas suffi, il fallait plus que ça, quelque chose qui marque les esprits. […] J’avais une chance sur un million que ça fonctionne, mais c’est arrivé !
DURANT TA CARRIÈRE, TU AS TOUT CONNU, DES SUCCÈS ET DES MOMENTS PLUS DIFFICILES, EN CLUB COMME EN ÉQUIPE DE FRANCE, AVEC PAS MOINS DE 147 SÉLECTIONS. QUE RETIENS-TU DE CETTE BELLE AVENTURE ?
Ce n’est pas les chiffres ou les succès que je retiens mais surtout les amitiés et les rencontres. J’ai côtoyé des joueuses incroyables. On a partagé plus que du sport, des véritables moments de vie. Les Bleues, c’est une vraie famille, aujourd’hui encore. Je suis quelqu’un qui ne me pose pas de questions. J’ai connu des hauts et des bas depuis le début de ma carrière sportive. J’ai pris quelques « claques ». Forcément, ça m’a fait mal parce que je suis une personne franche et ou- verte qui ne se met pas beaucoup de barrières. J’en ai pris quelques-uns en pleine face. On fait des choix, des fois ça ne se passe pas très bien mais il faut faire avec. C’est dur mais ça nous aide à apprendre et à grandir !
TON CÔTÉ FONCEUSE T’A-T-IL PARFOIS JOUÉ DES TOURS ?
Oui c’est certain, mais je préfère être détestée pour ce que je suis plutôt que d’être aimée pour ce que je ne suis pas. Je reste toujours droite avec moi- même et avec mes valeurs. Je suis une Lionne, si vos valeurs ne rentrent pas en concordance avec les miennes je préfère rester seule et me mettre en mode sauvage.
REVENONS À CES PROJETS SOCIÉTAUX QUE TU MÈNES AUJOURD’HUI EN PARALLÈLE DE TA CARRIÈRE SPORTIVE. SONT-ILS FINALEMENT UNE MANIÈRE DE RENDRE CETTE CHANCE QUE TU DÉCRIS ?
Bien sûr oui. Si personne ne m’avait tendu les bras, je serais encore au point de départ aujourd’hui. Donc oui, pouvoir ai- der et amener la paix par le sport et utiliser mon image pour améliorer des conditions de vie, ce sont des choses que j’ai envie de faire. Faire de l’humanitaire avec le sport, je trouve ça magnifique et je veux me consacrer à ça. Nous, les sportifs, on ne se rend pas forcément compte qu’on peut avoir un rôle plus important que seule- ment celui d’être sur le terrain. On ne se rend pas compte du poids que l’on a hors terrain et de tout ce que l’on peut faire. On a ce pouvoir de faire bouger les choses alors faisons-le. Je pense même que ce que l’on fait après notre carrière de sportif a plus d’impact que juste marquer des paniers ou remporter des trophées.
Y-A-T-IL UNE EXPÉRIENCE PARTICULIÈRE QUI T’A MARQUÉE ET T’A CONVAINCUE DANS CE CHOIX FUTUR ?
Mon voyage au Burundi avec Peace and Sport m’a véritablement marquée, il restera gravé en moi à jamais. Nous sommes allés à la rencontre de jeunes enfants (9-10 ans) qui étaient confrontés à la guerre… et qui se faisaient la guerre. Mon but était d’apaiser les tensions. J’ai un profil atypique, ma carrure,
mes tatouages… forcément ça interpelle les enfants ! La curiosité leur a permis de s’ouvrir un peu et au fil des questions ça nous a rapprochés. Tellement qu’à la fin ils ne voulaient plus que je parte ! Et les voir jouer ensemble lors des Jeux de l’Amitié (2018) alors qu’au départ il semblait impossible de les faire cohabiter, c’était magnifique. A la fin, ils s’appréciaient, ils étaient un groupe. Je trouve que ce genre de choses montre la force du sport. Une force qui permet de rassembler. Le sport casse des barrières immenses et ouvre des portes encore plus grandes. Ça m’a marquée, vraiment.
QUELS MESSAGES SOUHAITES-TU FAIRE PASSER À CES JEUNES FILLES ET JEUNES GARÇONS QUI RÊVENT DE MARCHER SUR TES TRACES ?
Je leur dirais de se dépasser, de tou- jours croire en leurs rêves et de se battre. Les rêves sans effort sont inutiles. Ça fait mal, on tombe, mais il faut avoir la force de se relever et de se battre. Comme disait Michael Jordan, « on peut tomber dix fois si on se relève onze fois ». Il faut toujours se battre pour accéder à ses rêves. Résilience, courage et espoir sont les maîtres mots.
Questions bonus
TON SURNOM FAVORI : Yacoubou ça me va très bien TON MEILLEUR SOUVENIR EN EDF : Les Jeux Olympiques évidemment avec la médaille d’argent au bout.
TA SÉRIE PRÉFÉRÉE : Ohlala ! (quelques secondes d’hésitations), c’est fou quand même que je ne me rappelle pas des dernières séries que j’ai pu regarder. (rires) Il va falloir que je remédie à ça.
TON PÊCHÉ MIGNON : Je suis une très, très grande gour- mande alors la nourriture en général.
TON CHOIX DE RÉINCARNATION : Une hippie pour être plus connectée avec la nature, je regrette toutes les choses que l’on fait endurer à notre planète.
MAMAN POULE OU MAMAN STRICTE ? Je suis une ma- man très stricte tout en étant la plus cool des mamans.
LA PLUS GROSSE BÊTISE FAITE PAR TES ENFANTS : Ils n’en font pas énormément mais par exemple, mon fils est tou- jours en train de courir partout et à Noël, on lui a offert une paire de chaussures qu’il voulait par-dessus tout. En à peine quelques jours, il les avait déjà cassées. La semelle était totalement décollée. Il les a cachées un mois pour pas qu’on le remarque. Ma fille en fait beaucoup mais à chaque fois elle s’en rend compte et vient nous en parler. Faute avouée à moitié pardonnée (rires).
LE PALMARÈS D’ISABELLE YACOUBOU
En club :
Coupe de France cadettes : 2004 Championne de France : 2010 Coupe d’Italie : 2011, 2015, 2016, 2018
Championne d’Italie : 2011, 2015, 2016, 2018
Euroligue : 2012
En sélection :
Championne d’Europe : 2009 Médaille de bronze championnat d’Europe : 2011
Médaille d’argent au championnat d’Europe : 2013, 2015
Médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Londres : 2012
Récompenses individuelles :
Meilleure joueuse du championnat d’Europe des 20 ans et moins : 2006 Meilleure joueuse française du championnat de France : 2009, 2010 MVP du championnat et de la Coupe d’Italie : 2018
Cinq de l’Euro : 2013
Chevalier de l’ordre national du mérite : 2013
Sport en commun – EN BREF
Plateforme panafricaine pilotée de Dakar, Sport en Commun a pour objectif de favoriser l’accompagnement et le finance- ment de projets liés au développement par le sport en Afrique. En s’appuyant sur l’offre de solutions existantes complétées par une offre de services sur-mesure, la plateforme Sport en Commun se positionne en guichet unique à travers quatre principales missions :
– Favoriser et accélérer le financement des projets de toute taille (micro, méso et macro)
– Favoriser et accélérer l’accompagnement des projets sur toute leur durée de vie
– Fluidifier les mises en relation et interactions entre acteurs
– Assurer la promotion de la thématique et favoriser le partage et retour d’expériences
Les Sports Impact Leader dont fait partie Isabelle Yacoubou.
Athlètes de haut niveau, en activité ou reconverti(e)s, sources d’inspiration pour de nombreux jeunes, ces personnalités du monde du sport sont toutes engagées aux côtés de Sport en Commun pour un développement économique et social grâce au pouvoir du sport.
Peace and Sport – EN BREF
Créée en 2007 par le médaillé olympique et champion du monde de pentathlon moderne Joël Bouzou, Peace and Sport est une organisation mondiale, neutre, in- dépendante et opérationnelle qui utilise le sport et ses valeurs comme instrument de paix.
En moins de dix ans, la dynamique sportive a déjà permis à Peace and Sport de réinsérer des enfants soldats, de redonner confiance à des orphelins de guerre, de ré- intégrer des réfugiés, de faciliter l’accès à la scolarité…
L’utilisation du sport comme outil pédagogique a incité les mouvements sportifs internationaux à se mobiliser concrètement. Parallèlement, les réussites sur le terrain de Peace and Sport ont sensibilisé les décideurs politiques et les gouvernements à voir le sport comme un réel vecteur de paix.
Découvrez les champions de la paix Peace and Sport dont fait partie Isabelle Yacoubou : www.peace-sport.org/fr/ nos-champions-de-la-paix/