La journaliste kenyane Evelyn Watta travaille dans l’administration sportive et le journalisme sportif. Très au fait des avancées en matière d’égalité dans le milieu sur le continent, en particulier au Kenya, elle nous fait part de sa vision, avec humilité et espoir. Entretien.
Par Léa Borie
Extrait du magazine WOMEN SPORTS AFRICA N°3 été-automne 2021
Un parcours impressionnant
Après des études de MBA management, Evelyn Watta a commencé sa carrière au Kenya, dans de grands groupes, plateformes et journaux d’Afrique de l’Ouest et centrale. En 2014, elle est nommée journaliste de l’année par CNN Afrique et devient la première journaliste féminine à être récompensée dans la catégorie sport, « un moment d’humilité et d’énergie dans ma carrière ».
Et l’année suivante, elle entre dans la liste des 40 femmes de moins de 40 ans les plus influentes au Kenya, d’après le Business Daily Africa. Evelyn Watta se souvient notamment de sa couverture des trois derniers Jeux Olympiques, « au sommet du sport » : « J’ai eu la chance de pouvoir me concentrer quotidiennement sur les espoirs olympiques et les champions à l’apogée de leur carrière sportive ».
Passionnée de sport !
Comme tout journaliste, si elle sait travailler sur un large panel de pratiques sportives, notre experte a ses sports de prédilection. Elle nous avoue avoir un faible pour l’athlétisme. « Pratiquer la course à pied pour entretenir ma forme physique m’a permis de mieux comprendre à quel point les athlètes s’investissent pour exceller ».
Fair-play, travail d’équipe, sens du dévouement et de la discipline : ce sont autant de valeurs qui parlent à Evelyn Watta. « La vitesse à laquelle les athlètes se relèvent après une défaite et continuent à se dépasser jusqu’à atteindre leurs objectifs est incroyable », félicite-t-elle.
Ce n’est que tardivement que la jeune femme a pu accéder à une pratique sportive car étant jeune, elle souffrait de problème de santé. « J’étais un enfant chétif, on m’a déconseillé de pratiquer des activités trop cardio pour éviter de déclencher des attaques. Mais à l’âge adulte, le sport m’a sauvée. J’ai ainsi pu me débarrasser de mes crises et des prises de médicaments qui ont dicté une partie de mon enfance. (…) Quand j’étais jeune journaliste, courir m’a aidé à voir le sport dans sa globalité. Ça ne signifie pas toujours de gagner mais aussi de participer. En tant que Kenyane, il m’a paru facile d’aimer l’athlétisme dans un pays où des centaines d’athlètes ont remporté les JO et autres rencontres mondiales ! »
Elle apprécie aussi le basket, ayant grandi dans ce milieu : « Petite, je regardais les garçons jouer sur le terrain de basket du parking de mon quartier. » De même pour le foot, qu’elle regardait à la TV. Mais en dehors de ça, la jeune femme a étonnamment été attiré par la boxe, de par « l’aspect mental du sport et de l’entraînement nécessaire des boxeurs avant leurs combats ».
L’égalité dans le sport
En parlant de combat, il y en a sur lequel Evelyn Watta ne lésine pas : les insinuations sexistes visant le sport féminin, que ce soit les athlètes féminines, les entraîneurs, ou encore les employés d’administration. Dans les remarques sexistes, la journaliste entend que « certains fans ou pratiquants se concentrent sur l’esthétique du sport féminin. Les femmes sont désignées comme des êtres sexy, des mères, des épouses d’abord, avant d’être désignées comme des athlètes ».
Autour de cela se posent aussi les questions d’égalité. « Les athlètes féminines travaillent aussi dur que les hommes mais se battent tous les jours pour accéder aux mêmes installations pour s’entraîner, gagner le même salaire et, dans certains cas, mettre la main sur la moitié des prix attribués aux hommes. »
Garder espoir
Au milieu de ces injustices et de ces inégalités qui demeurent et persistent, Evelyn a l’espoir que les choses évoluent. « J’espère voir le jour où le monde du sport prendra une position plus ferme contre le racisme, dans le domaine du jeu et dans le sport, comme il l’a fait contre le dopage, le trucage de matchs ou même la corruption en prononçant des sanctions. Le sport gère encore aujourd’hui le racisme avec des gants de soie qui ne peuvent pas vraiment l’éradiquer. »
Elle espère aussi que les inégalités salariales tendront à se lisser, au moins en équipe nationale. « J’aspire au jour où les pays et les fédérations paieront leurs équipes masculines et féminines de la même manière, et leur donneront accès aux mêmes conditions d’entraînement ».
Aujourd’hui, elle estime que les femmes en Afrique ont désormais une voix, qu’elles sont plus visibles qu’il y a 20 ans, lorsqu’elle a rejoint ce milieu. « J’évalue à environ 40/50 % la présence de femmes travaillant dans les médias, mais malheureusement, très peu sont à la tête de médias sportifs en Afrique, et de médias généralistes d’ailleurs ! »
Elle applique la même remarque aux terrains de jeux. « Beaucoup de femmes pratiquent mais encore très peu se retrouvent à la direction d’équipe, de fédération nationale. Mais cela est en train de changer. » Elle se souvient notamment de l’ancienne présidente de la fédération burundaise de football Lydia Nsekera qui a pris un siège à l’exécutif de la FIFA et à la CAF, ou encore la Marocaine Nawal Moutawakil au conseil d’administration du CIO.
« Et s’il n’y a pas encore eu de femmes à la tête d’associations clés comme en football ou en athlétisme, nous avons vu vu une jeune femme postuler à la présidence de la fédération de basket-ball. De plus, la récente nomination de Liz Mills en tant qu’entraîneur de basket-ball du Kenya, seule femme actuellement entraîneur d’une équipe nationale masculine, montre la volonté d’élever les femmes dans le sport kenyan. Les athlètes féminines kényanes ont également excellé au fil des ans lors d’événements internationaux et Jeux Olympiques, comme les joueuses de volley-ball et de football. Cela inspirera les filles kenyanes à pratiquer ! », s’enjoue-t-elle.