Sélectionneuse nationale de l’équipe féminine de football ivoirienne, Clémentine Touré a mené « Les Éléphantes » sur le podium de la Coupe d’Afrique des nations féminine en 2014. L’ancienne joueuse internationale, aujourd’hui âgée de 44 ans, est également instructrice permanente à la FIFA, avec pour rôle et objectif principal de développer le football féminin africain. Portrait. PAR ZOUMANA TRETA, AVEC LES ÉQUIPES DE WOMEN SPORTS AFRICA. Extrait du WOMEN SPORTS AFRICA spécial Nouveau Sommet Afrique France.
Contrairement à ses homologues de l’Allemagne qui bénéficie d’un système favorisant l’essor du football féminin, à l’instar des Etats-Unis et du Canada qui réunissent tous deux plus de la moitié des joueuses (la FIFA estime à 30 millions le nombre de pratiquantes dans le monde, dont 53 % aux Etats-Unis et au Canada), Clémentine Touré a longtemps galéré avant de pouvoir exercer sa passion. Aujourd’hui à la tête de la sélection nationale féminine, elle savoure le chemin parcouru.
Influencée dès son jeune âge, la native de Ferkessédougou, le chef-lieu de la région du Tchologo situé à 650 km d’Abidjan au Nord de la Côte d’Ivoire, se lie très tôt de passion pour le football. En effet, chez les Touré, le football est une histoire de fa- mille. Avec un père professionnel en Côte d’Ivoire, trois frères passionnés et deux de ses quatre sœurs, elles aussi douées dans l’exercice, il ne pouvait en être autrement. « Petite, on ne parlait que de foot et nos cadeaux, c’était des ballons », ra- conte Clémentine Touré. « J’allais dans la rue pour jouer avec les amis et souvent, j’étais la seule fille. Au collège, c’était dur. Les garçons me rejetaient et me disaient de jouer à la marelle avec les autres filles. Mais je me suis accrochée et, au lycée, ils m’acceptaient car je me débrouillais bien. Tous voulaient me prendre dans leur équipe. Le prof de sport a même demandé l’autorisation au proviseur de m’incorporer à l’équipe masculine.»
« En présentant mon dossier pour participer à un stage, on m’a refusé en m’expliquant que c’était réservé aux hommes »
Avec une carrière passée entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, marquée par 22 sélections avec les Eléphantes (1995- 2002), elle obtient son diplôme d’éducation physique et sportive et se lance sur les traces de son paternel, entraîneur lui aussi. Non sans difficultés, car une à une, les portes se ferment.
« Personne ne voulait de moi », rappelle- t-elle. « En présentant mon dossier pour participer à un stage, on m’a refusé en m’expliquant que c’était réservé aux hommes. Le jour du stage, je suis revenue et j’ai dit à l’instructeur : “Je veux et je vais réussir !” Il m’a accepté et j’ai tout fait pour être la meilleure. J’ai travaillé contre vents et marées, je voulais leur prouver que j’avais ma place. » Mission accomplie avec une place de major de promotion décrochée « avec les félicitations de la Fédération ».
Pourtant, les désillusions s’enchaînent dans un pays alors peu enclin à la féminisation de son football. Après une première expérience avec le club ivoirien des Amazones de Koumassi, Clémentine Touré garde en mémoire un moment frustrant. Le jour de sa première nomination à la tête des Eléphantes, en 2006 : « La presse et l’opinion m’ont immédiatement rejetée. J’étais soi-disant trop jeune, inexpérimentée… En fait, j’étais une femme. Je suis partie et j’ai alors pris l’engage- ment de devenir une grande entraîneuse et de prouver aux yeux du monde entier qu’une femme pouvait réussir. »
Quelques mois plus tard, sa vie chavire. Après un premier trophée décroché avec ses Amazones, Clémentine Touré capte l’attention des dirigeants d’Aguilas Verdes, l’une des meilleures formations équato-guinéennes : « J’ai tout de suite accepté l’offre. J’avais l’opportunité de m’exprimer et de vivre mon expérience. » L’aventure ne dure qu’une saison. Le temps d’un succès en championnat et d’une promotion à la tête de la sélection de la Guinée équatoriale couronnée par une victoire historique au Championnat d’Afrique des nations 2008 alors que la Côte d’Ivoire échoue une fois de plus lors des qualifications. « Je tenais ma revanche », assure-t-elle fièrement. « Je suis une battante, je n’ai jamais voulu abandonner. Jacques Anouma, le président de la Fédération d’alors, m’a alors rappelée pour redevenir entraîneuse des Eléphantes avant de me décorer. Je ne pouvais pas refuser cette reconnaissance. »
La qualification pour la Coupe du monde, un grand moment !
Une nouvelle fois, les miracles s’accumulent. En 2012, la Côte d’Ivoire participe à sa première compétition continentale avant, deux ans plus tard, de décrocher une inattendue troisième place, qui offre aux Eléphantes une participation au Mondial canadien, avec un effectif sans stars, composé quasi exclusivement de jeunes joueuses du pays.
« LES GARÇONS ME REJETAIENT ET ME DISAIENT DE JOUER À LA MARELLE AVEC LES AUTRES FILLES. »
« Personne ne s’y attendait, on a beau- coup travaillé dans l’ombre. La Fédération m’a beaucoup aidée. Un projet a été mis en place, notre discipline progresse et les licences grimpent. Aujourd’hui, le foot féminin n’est plus tabou et on joue même devant 1 000 ou 2 000 supporteurs ! »
La sélectionneuse des Eléphantes ambitionne de coacher un jour une équipe masculine. « Ce serait avec plaisir. Je ne sais pas s’ils accepteraient une femme… Mais un jour, j’essayerai… » rêve coach Clémentine Touré.