Géraldine Rey est la présidente de Désertours, le tour opérateur spécialiste des rallyes et des raids aventures aux quatre coins du monde. En 2018, elle a été récompensée du prix Monte-Carlo Femme de l’Année dans la catégorie « sport » pour avoir contribué à mener les femmes au sport automobile via les différents événements de l’entreprise, notamment le Trophée Rose des Sables et le Trophée Rose des Andes, tout en apportant des aides concrètes dans des zones défavorisées. Entretien avec une quadragénaire dynamique qui nous fait partager sa passion. Par Floriane Cantoro
Comment est née l’aventure Désertours ?
Mon père , Jean-Jacques Rey, était un passionné de moto et de rallyes, notamment du Paris-Dakar auquel il a participé plusieurs fois. La course lui a permis de traverser le désert africain dont il est tombé fou amoureux. En 1987, il décide de monter sa propre société afin de permettre au plus grand nombre de découvrir ces paysages incroyables, en les rendant accessibles d’un point de vue financier (par rapport à des budgets comme celui requis sur le Paris-Dakar). C’est ainsi qu’est née Désertours et sa première épreuve, le Biarritz-Dakar. Il a ensuite produit des raids sur le Maroc.
Depuis que vous avez intégré l’entreprise, en 1997, trois rallyes féminins ont été crées. Comment ces aventures ont-elles germé dans votre esprit ?
À l’époque dans le domaine des rallyes-raids, c’est-à-dire de l’orientation à la boussole et au roadbook, il n’y avait pas d’événements féminins. J’ai eu envie de monter une aventure pour les femmes : le Trophée Rose des Sables au Maroc en 2001. L’événement marchait bien mais on souhaitait se challenger. On est une entreprise qui vend du défi et de l’aventure. On dit sans cesse aux filles qu’elles doivent sortir de leur zone de confort. À nous de faire pareil ! Tout le monde proposait des produits au Maroc et on était subjugué par les images du Dakar en Argentine. On a donc décidé de monter le Trophée Rose des Andes en Amérique du Sud en 2014. Pour le petit dernier, le Trek Rose Trip, ce sont les racines qui ont parlé ! Originaire du Pays-Basque, j’ai toujours pratiqué la randonnée dans cette région qui s’y prête beaucoup. J’avais envie de tenter une aventure de trekking. La première édition a eu lieu en novembre dernier.
Pourquoi ce choix de la gent féminine ?
Au départ, nous voulions rendre les sports mécaniques plus accessibles aux femmes. Ce n’est pas le monde automobile qui ne veut pas des femmes, au contraire ! Ce sont souvent les femmes elles-mêmes qui s’empêchent d’y entrer parce qu’elles n’arrivent pas à s’y projeter. L’idée était donc de les encourager à découvrir cet univers, leur prouver qu’elles étaient les bienvenues et qu’elles pouvaient être aussi bonnes que les hommes sur ces catégories de sport. Le reste s’est fait naturellement. Nous ne sommes pas fermés aux événements mixtes ou exclusivement masculins, mais nous aimons voyager avec des femmes. Contrairement aux idées reçues, elles ne passent pas leur temps à se crêper le chignon ! Elles discutent, échangent, sont bienveillantes les unes envers les autres. C’est un public très attentif et très respectueux. Une femme, si on lui donne des conseils de pilotage, elle va les appliquer. Et ça, ce n’est pas très masculin…
Qui sont ces femmes qui participent aux rallyes Désertours ? Selon vous, que viennent-elle chercher sur ce genre d’aventure ?
C’est vraiment « madame tout le monde ». Catégorie socio-professionnelle, âge, couleur : toutes les barrières sociales tombent et c’est fort agréable. Ce qui les ressemble, c’est surtout leur volonté de participer à quelque chose, de faire une parenthèse dans leur vie ou de (se) prouver qu’elles en sont capables. Certaines viennent aussi chercher le côté solidaire qui fait l’ADN de nos aventures. Nous travaillons main dans la main avec les ONG locales et les pays d’accueil via l’association Enfants du Désert. On ne veut surtout pas arriver avec nos gros sabots et repartir comme des fleurs ! L’idée c’est d’aider les populations sur place en les rendant autonomes. Nous travaillons sur la scolarisation (18 écoles construites grâce au 4L Trophy), le marrainage mais également la santé avec la mise en place de séances d’équino-thérapie en Argentine et, dernièrement, une campagne de sensibilisation contre le cancer du sein sur le Rose Trip. Certaines participantes sont incroyablement investies : par exemple, au lieu d’atteindre le budget de financement requis pour participer aux aventures, elles doublent carrément la mise afin de multiplier les actions de solidarité. Elles sont les marraines de petites-filles qu’elles suivent jusqu’à leur majorité voire plus, leur rendent visite, leur envoient des cadeaux, les aident dans leurs études…
Quel sentiment cela vous procure-t-il d’avoir su vous imposer et imposer les femmes dans le monde du sport automobile ?
Je suis surtout très contente de pouvoir partager ma passion avec toutes ces femmes, de voir comment elles évoluent, comment elles sortent grandies et différentes de toutes ces aventures. Je suis contente de leur permettre de découvrir cet univers et de déclencher des passions chez elles, car certaines en sont à leur 15e rallye ! Et puis un peu fière, il faut bien l’admettre, d’avoir convaincu les plus réticents qu’hommes et femmes peuvent faire les mêmes choses, même en matière de sports mécaniques.
Avez-vous déjà expérimenté le sexisme au cours de votre carrière, même déguisé ?
Oh il n’est pas déguisé dans ce milieu-là ! C’est tous les jours des petites blagues. Quand je suis arrivée dans l’entreprise en 1997 et que j’ai dû gérer les 400 bénévoles, dont 300 hommes, je peux vous dire que j’ai ramé ! Ils me regardaient d’un air de dire : « Qu’est-ce qu’elle veut celle-là, la fille du patron ?! » (rires). En 20 ans de métier, j’ai vu une nette amélioration des mentalités de ce point de vue. Parmi les jeunes générations, il y a beaucoup moins de blagues et de propos sexistes. Bien sûr, il y en a encore quelques petites remarques parfois. Mais ce n’est pas bien grave car nous avons une bonne répartie nous les femmes. En fait, on doit plus gérer des égos que des hommes !
En tant que cheffe d’entreprise, vous avez donné au sport une forte place dans votre stratégie de management en proposant des cours de sport au bureau (du pilates deux fois par semaine entre 12h et 14h, et du yoga le matin à 8h). En quoi est-ce important selon vous ?
Je crois au management de bienveillance. Selon moi, c’est la seule méthode pour travailler dans la sérénité et créer de bonnes choses. C’est important de prendre soin les uns des autres, de faire en sorte que chacun puisse s’épanouir. À défaut, on se ferme nous-mêmes les portes de la créativité et des possibilités. C’est pourquoi, effectivement, nous avons des cours de pilates et de yoga au bureau plusieurs fois par semaine. Nous organisons également des randonnées entre nous le week-end. J’ai aussi voulu permettre aux salariés [20 en France et 2 au Canada, ndlr] d’avoir du temps personnel pour eux, pour le sport, la famille ou autres choses, en mettant en place la semaine de 4,5 jours. En 35 heures et dans l’événementiel, je peux vous dire que c’est speed ! Mais on le fait quand même et on y arrive plutôt bien.
Géraldine Rey, en bref
Géraldine Rey a grandi au Pays-Basque, au sein d’une famille dont le père Jean-Jacques est un passionné de moto et de rallyes auto. Petite, elle l’accompagne sur certaines de ses courses notamment la plus célèbre du genre : le Paris-Dakar. Biberonnée dans un 4×4, Géraldine attrape le virus ! À l’adolescence, elle apprend à conduire sur les pistes africaines du Sénégal. Une fois diplômée (BTS Tourisme suivi d’un master I de cadre de gestion), cette aventurière dans l’âme part seule outre-Atlantique, sac à dos sur les épaules, pour sillonner pendant un an l’Amérique du Sud. Elle rentre en France en 1997 et intègre la société familiale Désertours. Créative et audacieuse, Géraldine Rey sera à l’origine de plusieurs événements de l’entreprise : le Trophée Rose des Sables (2001), le Trophée Rose des Andes (2014), l’Argentina Trophy (deux éditions en 2017 et 2018) et le trek Rose Trip (depuis 2018). Des projets et une énergie qui lui ont permis de recevoir le trophée « Passion » décerné par l’Automobile Magazine, dans un monde pourtant particulièrement masculin. Plus récemment, Géraldine Rey a été décorée du Prix Monte-Carlo Femme de l’Année 2018, dans la catégorie « sport », pour avoir contribué à mener les femmes au sport automobile, en apportant des aides concrètes dans des zones défavorisées.